Sorti en 2010, ce documentaire
réalisé par le danois Michael Madsen frappe par l'intelligence et
la cohérence de sa mise en scène. Son sujet : la construction
actuelle d'un gigantesque complexe sous-terrain en Finlande, destiné
à recueillir une grande quantité de déchets radioactifs, pour les
tenir éloignés des hommes pour au moins cent-mille ans. Malgré ce
sujet réel, la présence de scientifiques, d'interviews et d'une
idéale notion d'immersion, Michael Madsen parvient à imposer une
écriture personnelle tout en structurant son documentaire comme un
conte illusoire. Se mettant lui-même en scène, le réalisateur
apparaît régulièrement dans ce film, une allumette à la main.
Face caméra, il s'adresse à des millénaires d'éventuels
spectateurs. « Vous n'auriez jamais dû venir ici »
et il tente de nous expliquer pourquoi. A la rencontre de géologues
ou de physiciens, il s'attache très vite à la question des moyens
dont nous disposons pour faire comprendre à cent-mille ans de
nouvelles générations qu'il ne faut pas approcher.
Ces scientifiques lui expliquent
dès lors qu'il faut passer par le symbole, s'élever au dessus du
langage qui limite les possibilités de compréhension universelle.
Des croquis et autres études présentent à nos yeux de véritables
propositions de scénographie. Avec d'énormes épines d'acier
plantées dans le sol, hautes de plusieurs mètres et répandues sur
une grande surface autour d'Onkalo
il fut par exemple tenté d'imaginer un lieu qui repousserait tout
curieux par la simple ambiance qu'il dégagerait. D'immenses pierre
couvertes de symboles pourraient également tendre à exprimer le
danger, à repousser le curieux. Mais Madsen tournant son récit sous
la forme d'un conte et soulignant que nous ne devrions pas être en
mesure de voir ce lieu, il prend le pari d'une future découverte de
cette boîte de Pandore. Il nous rappelle bien vite que malgré la
pierre de Rosette qui permit aux archéologues de lire les
malédictions qui les frapperaient en cas de profanation, leur
curiosité fut la plus forte et ils allèrent parfois se condamner à
de mystérieuses morts en explorant les tombeaux d'Egypte.
Guerres,
climat, incidents à la surface... Avec tous les changements du monde
pour cent-mille ans à venir, le risque d'une intrusion reste le plus
probable, le plus difficile à parer. Coulés dans d'immenses blocs
de béton à des centaines de mètres sous un littoral rocailleux
finlandais, ces déchets risquent d'être découverts lors de
fouilles. Into Eternity
s'attache longuement à cette question, et tous les intervenants
s'adressent à un spectateur auquel il faudrait expliquer le danger
nucléaire avec des mots simples, des concepts métaphoriques
universels. L'allumette ou l'idée d'un feu qui ne s'éteint jamais
rendent crédibles ce récit effrayant, à la limite de la prophétie.
Lors de sa première apparition, Madsen prononce d'abord « Once
upon a time ». Il explique
qu'un jour, l'Homme découvrit une flamme dont la puissance créatrice
était immense, mais avec horreur, il s'aperçut que son pouvoir de
création était à la mesure de son pouvoir de destruction. Que pour
se protéger, il devait enterrer cette flamme dans un lieu profond et
éloigné, pour qu'elle y brûle, into eternity (pour
l'éternité).
Michael
Madsen livre une œuvre à part. Lui aussi s'enregistre pour des
millénaires, tout en nous informant nous autres ses contemporains de
ce projet colossal. Sans doute le plus grand pari jamais pris par
l'être humain, celui de vaincre le temps. Il le prend également,
convaincu que le cinéma pourrait être un outil, avec sa poétique et ses
capacités de narration « visuelles ». Remplissant le
contrat d'un documentaire didactique et factuel sur notre histoire
récente, il développe un récit prophétique à l'attention de nos
lointains descendants. Imaginer comment représenter le présent à
l'attention des générations futures cela ne peut se faire sans art,
sans dépasser le langage. Alors pourquoi pas à l'aide d'un film ?
Sa pierre de Rosette à lui présente donc une mise en image très
mystique, une poétique grandement renforcée par la musique, un
ralenti planant qui fait voler la caméra dans les dédales de
béton... Un dossier en anglais très complet sur ce documentaire est
disponible sur le site www.ratical.org/radiation
et vous permettra de visionner ce film en version française sous-titrée
et de retrouver des informations sur le réalisateur, les
intervenants ou encore d'en apprendre plus sur Fukushima et les
questions liées aux incidents nucléaires.
Mise à jour : Le film n'est plus disponible sur ratical.org, mais est toujours entièrement en VOSTFR sur Youtube.