La démarche rappelle celle du Petit Journal de Canal + qui s'amuse à faire tomber le rideau régulièrement. Pierre Carles dénonce alors une supercherie incroyable, tout en employant un ton décalé, mélange de cynisme dénonciateur et d'étonnement calme. Son reportage expose simplement un champ-contre-champ de PPDA dialoguant avec Fidel Castro, totalement mensonger puisqu'à ce moment précis, le dirigeant répondait à une journaliste argentine durant une conférence de presse. Pierre Carles réutilise les images originales et prouve donc la manipulation de TF1.
Il poursuit sa carrière fidèle à lui-même, déboulonnant la télévision et s'intéressant au traitement médiatique privilégié dont bénéficient nos politiques. Aujourd'hui les réseaux sociaux et la circulation effrénée d'informations ont définitivement fait sauter le quatrième mur du théâtre politique, si bien que ces personnalités se doivent de jouer avec les médias, de maîtriser la représentation, pour parfois même regagner en popularité quitte à révéler de l'intime, à ne pas avoir peur du ridicule. En 1995, la situation était bien différente, internet ne concurrençait pas autant la télévision et l'agitateur Pierre Carles se lâchait complètement, enregistrait ses collaborateurs du petit écran pour mieux exposer leur mauvaise foi. Pas vu à la télé interroge de nombreux journalistes phares sur la question des rapports entre les journalistes et les politiques. Mais dans la méthode, le documentariste se fait plaisir, envoyant des amis poser des questions sans annoncer la couleur au préalable. Quelques questions simples sur les médias et la politique puis, calmement, "nous avons amené des images qu'on voudrait que vous commentiez". Bien entendu, les images concernent une discussion dérangeante entre François Léotard et Etienne Mougeotte. La méthode façon Bart Winfield Sibrel ne plaît pas, le reportage devient un film : Pas vu, pas pris.
Une énorme mise en abîme du travail de Pierre Carles, qui enregistre alors ses collègues ou commanditaires (Philippe Dana, Karl Zero...) lui expliquant ce qu'il faudrait changer à son sujet très politiquement incorrect. Pas vu, pas pris sort au cinéma et fait 160.000 entrées. La même année il réalise Juppé, forcément dans lequel il interroge les journalistes sur le traitement qu'ils font de la campagne municipale de Bordeaux et par extension, sous-entend que les médias eux-mêmes fabriquent des champions tout en minimisant l'importance du pluralisme politique. C'est ce film qu'il est intéressant de voir ces jours-ci, puisque Juppé revient de loin et plus fort, utilisant les médias de nouveau, ce qui permet de constater l'évolution des médias de 1995 à aujourd'hui.
Ayant lui aussi un pied dans le monde de la télévision malgré tout, il entretient de nombreuses relations professionnelles avec certains journalistes phares ou autres critiques des médias. Il opérera un temps un va-et-vient entre Daniel Schneidermann et Pierre Bourdieu aux visions opposées sur ce que doit être la télévision. Dans Enfin pris ? Pierre Carles tenta de résumer cette opposition, tout en prenant clairement la défense de Bourdieu et en souhaitant filmer Schneidermann chez un psychanalyste dans le but de lui faire remarquer sa schizophrénie naissante. Finalement, c'est Pierre Carles qui s'allonge sur le divan, attentif aux remarques espiègles d'un praticien...étrange. Peut-être s'amuse-t-il, après avoir parlé de l'éthique de la psychanalyse, de laisser Carles filmer ce qui devient son propre rendez-vous. Pierre Carles réalise tout de même La sociologie est un sport de combat dans lequel il suit Pierre Bourdieu en France et à l'étranger.
Plus récemment il a également réalisé DSK, Hollande etc interrogeant à l'aide de complices les journalistes sur leur couverture de l'élection présidentielle de 2012. Une compilation de rencontres relativement tendues, notamment avec Nicolas Demorand titillé sur les sondages concernant Marine Le Pen par quelqu'un avouant ne pas lire le journal qu'il dirige, tandis qu'il prend sa pause café en fumant une cigarette. Un moment sans doute culte pour tous ceux qui ont vu ce film.
Après toutes ces années à chahuter les personnalités médiatiques et politiques, Pierre Carles est devenu un personnage public lui aussi, et cette introspection qui était déjà palpable à ses débuts, qui s'est amplifiée dans Enfin pris ? devient l'objet même d'un nouveau film : Fin de concession. Il devient Carlos Pedro pour tenter de poursuivre ses activités en toute liberté. En clair, pour taper sur TF1 en interrogeant les journalistes sur les pratiques douteuses de la direction au moment de la concession de la chaîne à hauteur de 50% au groupe Bouygues en 1987. Seulement désormais l'élément de surprise n'existe plus, et nous assistons à Pierre Carles tentant de refaire son coup de maître de Pas vu pas pris sans jamais y parvenir. Les éléments sont les mêmes, des extraits de ses anciens films sont utilisés et même la revue de ses rushes par des amis cinéastes font basculer ce documentaire dans l'autobiographie. A la lumière des précédents films, cela reste particulièrement intéressant, et le personnage gagne à être connu. Il laisse son empreinte dans l'histoire de la critique des médias, avec ce coup d'éclat en 1992 et ce Pas vu pas pris qui a causé tant de remous dans la sphère télévisuelle.
Ce changement de situation peut se lier à l'évolution des médias également. Pierre Carles était l'ennemi intime de la télévision, mais encore une fois, à l'heure d'internet, qui est sans doute la source de notoriété principale d'un journaliste indépendant, que peut-on dire des changements survenus sur nos écrans ? C'est la question qu'il pose dans Fin de concession afin de justifier ses demandes d'interview. Découvrez-donc Juppé, forcément afin de vous faire une idée sur la question, et au passage prendre un coup de vieux intéressant.