[Cinéma] Vaincre ou Mourir de Paul Mignot et Vincent Mottez (2023)




Effectivement, elle est plutôt incroyable cette épopée. J'attendais de voir ce film pour me faire une opinion après toute la polémique autour de lui et de son objectif supposé. Et je suis d'accord. Il y a une entreprise de propagande, franchement malsaine il me semble, et pas grand chose de plus.

Ce récit est celui de Charette et de son héroïsme ou panache supposé. Il n'a que ça à la bouche d'ailleurs. "L'honneur". Qui le transforme en kamikaze dont le véritable talent est de savoir manipuler les paysans choqués par la mort d'un fils ou la crainte de le voir être envoyé à la guerre, afin de les emmener eux-mêmes au massacre en hurlant "pour dieu et pour le roi". Ces paysans qui arguent du fait qu'ils ne peuvent pas se passer de leurs fils car "les champs ont besoin de bras" vont néanmoins apparemment tous choisir d'aller crever bêtement. "Mais avec panache" (à lire avec une grosse voix badass surjouée). Difficile de trouver sympathique ce type possédé par sa propre suffisance, qui vante le sacrifice avant de déplorer "On se fait massacrer... inimaginable".

Le récit, le ton de Charette ("Quel honneur d'être une cible", "J'irais jusqu'au bout", "J'suis hyper stylé nan ?") qui par ailleurs finit clairement grimé en Jesus himself lorsqu'on l'amène au peloton d'exécution, l'utilisation de la musique et du montage à seule fin de grandiloquence indigeste compte tenu de la bêtise de cette situation... C'est dur.


"Je veux être l'homme du panache"

Mais surtout les punchlines ou catchphrases qui sonnent étrangement, comme des adresses au spectateur identitaire d'aujourd'hui qui aurait besoin qu'on rebooste son esprit de résistance et que l'on motive son envie à lui de prendre les armes et de passer à l'acte car "le courage ne suffit pas". La fin du film et le martyr posant la question au spectateur avant d'être abattu "Et si notre histoire venait de commencer ?". Tout ça sent très mauvais. Vraiment.

L'image est soignée. Voilà un véritable élément positif indéniable. Les éclairages, couleurs, cadres sont il me semble plutôt admirables. Si le fond n'était pas si borderline et s'il n'était pas si évident que la "polémique" est fondée, Vaincre ou Mourir aurait pu être une très bonne production pour la télévision, considérant aussi les limites propres aux moyens disponibles. Visuellement c'est très astucieux. 

Mais le confusionnisme tellement palpable et qui a poussé certains spectateurs à hurler "vive dieu vive le roi" comme s'ils se sentaient intégrés à ce film et à son récit, comme s'il s'agissait d'un appel plutôt que d'une fresque historique, cela fait bel et bien de Vaincre ou Mourir une oeuvre dont on peut dire qu'elle est problématique.

Seule la volonté de trouver écho dans les esprits les plus faibles ou déjà conquis par l'aversion à l'égard de la révolution et de la république, dans les esprits de ceux qui dressent déjà des ponts entre la situation d'alors et celle d'aujourd'hui, peut justifier l'idée d'employer des effets de mise en scène et de narration aussi dégoulinants de grandiloquence simpliste, purement stylistique. Les autres spectateurs sans doute bloqués hors du film, au moins perplexes, potentiellement inquiets.

Pour sauver sa peau, il doit mourir.

Je l'ai lu dans d'autres critiques, y compris venant de spectateurs beaucoup moins sévères, certaines questions que j'ai aussi : si on s'en tient à la façon dont ce film le présente et le fait parler, que cherchait donc Charette ? Quelle était sa motivation ? Pourquoi semble-t-il si imbu de lui-même ? Doit-on voir autre chose qu'une sorte de radicalisme dans sa folie qu'il appelle panache ? Est-ce Charette ou Marty Mc Fly, un type qui refuse de se battre mais qui fait volte-face dès qu'on le traite de mauviette ? Et bon sang, qu'ont-ils gagné, finalement, tous ces paysans qui disaient vouloir protéger leurs champs et leurs familles, mais qui en suivant le forcené n'ont récolté que mort et destruction ? Était-ce si important pour eux de se vider de leur sang les yeux au ciel, persuadés de se sacrifier pour Dieu ou pour le Roi ? En quoi cela ferait-il d'eux des français moins brutaux et écervelés que les autres ?

Je ne veux pas être blessant ou manquer de respect à l'égard de celles et ceux qui ont apprécié ce film et s'y retrouvent, c'est la vie. Elle est complexe, je n'ai pas à dire aux gens comment interpréter et apprécier un film et ils ont bien le droit d'avoir leur propre sensibilité. Mais je n'y peux rien, à mon sens à moi, ce que ce film me dit c'est que seul un esprit déjà conquis par un argumentaire contemporain et identitaire, apte à prendre la propagande pour de la lucidité tout comme Charette prend sa folie pour du panache, peut permettre d'en conclure : "J'ai les larmes aux yeux, quel saint homme, snif".





[Cinéma] La Famille Asada de Ryôta Nakano (2023)

 



Distribué sur une petite centaine de copies ce film, s'il passe près de chez vous, mérite vraiment que vous courriez le voir ne serait-ce que pour vivre de belles et puissantes émotions tout en découvrant l'histoire vraie d'une démarche photographique extrêmement touchante. Celle de Masashi Asada. 

Jeune photographe japonais en manque d'inspiration, Masashi décide un jour de mettre en scène ses parents dans des situations qu'ils n'ont pas pu vivre réellement et cela afin de les amuser tout en adoucissant leurs éventuelles frustrations. Il commence par concrétiser ce projet en proposant l'idée à son père, l'homme qui lui a en premier mis un appareil photo dans les mains, et qui a fait le choix de soutenir son épouse, infirmière en chef très investie dans son métier, en restant au foyer pour élever leurs deux fils. En conséquence il n'a pas pu s'orienter lui-même vers le métier et la carrière dont il avait rêvé étant plus jeune : pompier. Masashi lui permet d'imaginer sa vie rêvée le temps d'une mise en scène destinée à créer un faux souvenir, une photographie qui sera ensuite encadrée et mise au mur dans le salon familial.


La photographie "Les pompiers" recréée dans le film


Touché par cette démarche, le père se dit fier de lui et reconnaissant pour le moment d'insouciance, de fantaisie et donc de bonheur procuré par son propre fils et cela à l'aide d'un appareil photo qu'il lui avait offert alors que celui-ci n'était encore qu'un enfant. Masashi qui ne compte pas en rester là propose donc à sa mère, puis à son frère, d'en faire autant. Dès les premières séquences de ce film la bonne humeur, la bienveillance, les sourires en nombre font du bien. 

D'autres situations fantasmées sont alors mises en scène afin de créer de superbes clichés qui tour à tour s'affichent à l'écran, nous permettant d'apprécier pleinement leur véritable beauté esthétique. Un vrai plaisir visuel pour tout amateur de photographie qui ne manquera pas de séduire les profanes également qui pourraient se sentir inspirés, avoir envie de prendre un appareil à leur tour. 

Avec son idée toute simple Masashi procure du plaisir aux siens, en tire une grande satisfaction personnelle tandis qu'il voit les yeux de ses parents se mettre à briller. Le récit est profondément touchant et donne envie d'être capable d'un tel degré d'espièglerie. Il donne envie de s'amuser. 

La musique ska-rock, le montage très rythmé et donc la mise en scène dans sa globalité accompagnent cette ambiance de façon très cohérente, installent le spectateur dans une atmosphère festive. L'aspect comique du film s'exprimant pleinement dans ce premier tiers qui se focalise sur la famille Asada.


La véritable photographie "Les pompiers" de Masashi Asada et sa famille

Mais une "private joke" peut éventuellement se transformer en projet de vie, et c'est ce que pense Masashi qui commence par valoriser sa série photographique en la compilant dans un bel ouvrage (véritablement disponible encore à l'heure actuelle), puis qui songe à professionnaliser sa pratique en la déclinant sous forme de service. Il se rend donc disponible à toute famille souhaitant dialoguer avec lui pour imaginer une situation emblématique, synonyme d'un moment de plaisir partagé, avant de la mettre en scène et l'immortaliser.

Et c'est à l'occasion de l'une de ces rencontres avec une autre famille que le ton du film commence à changer, mettant de côté l'espièglerie car une question se pose : comment faire pour amener ce bonheur là dans une famille touchée par un malheur visible, qui lui aussi finira dans l'image ? Comment garder le sourire si une fois l'oeil dans l'objectif, le photographe prend conscience de ce que l'image représentera peut-être dans un avenir proche : le souvenir d'une personne disparue ? 


"J'observe avec horreur un futur antérieur dont la mort est l'enjeu.“
Roland Barthes, La Chambre Claire

Masashi tente de rester professionnel et de faire son devoir de photographe, mais quelque chose change à ce moment précis : il ne parvient plus à mettre en scène le réel et sa photographie n'est plus un prétexte à l'amusement car seul l'avenir relativement proche dira si ce à quoi elle renverra sera de nature à provoquer le rire ou les larmes. Ce moment d'une grande sobriété vient calmer tout le monde, Masashi et les spectateurs. Fini de rire et toujours en cohérence la mise en scène commence à changer elle aussi. 

Profondément marqué par cette expérience, Masashi semble ensuite pensif, le regard perdu face aux murs sur lesquels il s'apprête à exposer certains de ses clichés. Nous sommes alors le 11 mars 2011, date du tragique séisme de la Côte Pacifique du Tōhoku, suivi de son tsunami (et de l'accident à la centrale nucléaire de Fukushima) sans doute la plus grande catastrophe naturelle moderne connue par le Japon. 

Masashi décide de se rendre dans l'une des provinces touchées par la catastrophe. Il rencontre sur place des bénévoles qui se mobilisent afin de récupérer, nettoyer, afficher des photos de familles retrouvées dans les décombres. L'idée étant de permettre aux survivants de retrouver leurs disparus au moins dans une image, pour avoir un souvenir qui leur est bien entendu très cher. "Les photos sont sacrées" dit l'un des personnages dans le dernier tiers du film, qui semble tout entier vouloir expliquer pourquoi et selon moi y parvient. Mais concernant le récit, je n'en dirai pas beaucoup plus, allez voir ce film ! 


Cette petite fille va proposer un ultime casse-tête à Masashi

Ce que je peux dire, c'est que le tour de force réside dans ce glissement audacieux, en trois actes, de la comédie vers le drame. Le premier tiers se veut extrêmement fun avec son ska-rock, ses angles loufoques et son rythme survolté, le feel good movie se situe principalement durant cette première phase. 

Le second tiers qui illustre les difficultés de Masashi qui tente d'accomplir son propre rêve de professionnalisation marque le passage à une mise en scène plus assagie même si l'humour continue à passer notamment à travers certains personnages secondaires, comme l'éditrice notoirement alcoolique qui ne cesse jamais d'éclater de rire. Il permet aussi d'accorder du temps à Wakana, copine d'enfance de Masashi qui une fois adulte s'avère être sa première supportrice, l'aide à garder confiance en lui et lui ouvre certaines portes (espérant par ailleurs qu'il le lui rendra un jour "au centuple" en l'épousant enfin).


Wakana, le soutien sans faille

Le derniers tiers assume son caractère dramatique et permet selon moi d'affirmer qu'un passage préalable par le rire provoque une plus grande ouverture ou sensibilité aux événements les plus graves. Le rire sollicité en abondance durant le premier tiers permet dans ce film de qualifier la démarche de Masashi Asada lorsqu'il était dans sa propre famille et qu'il se démenait pour la faire sourire, l'amuser, lui procurer de la joie. Mais aussi de nous cueillir, nous embarquer avec ce personnage qui par la suite nous emmène vers une plus grande complexité notamment liée à la photographie. 

Bien sur il y a un propos sur la famille, la vie et la mort, les souvenirs, les rêves et les craintes, tout un panel de sujets existentiels toujours propices à une exploration de la psyché humaine par le cinéma. Mais dans ce film en particulier un autre niveau de profondeur philosophique interroge ce qui fait de la photographie un apport au monde ou plus précisément "à chacun d'entre nous".

La construction en trois actes et trois régions permet d'articuler le récit de façon intelligente et de ne jamais être excessif, dans le rire de trop ou la lourdeur éttouffante. Les quelques allers-retours de Masashi pour visiter ses parents tout au long du film aident d'ailleurs à bénéficier de petits moments de respiration. 

Une autre intrigue au sein de la famille de Masashi que je laisse ici de côté permet un twist revigorant, qui remet un coup de fouet juste avant de nous laisser repartir, énième argument mystérieux que je tiens à mentionner afin de vous motiver à aller découvrir La Famille Asada

Pour moi ce fut un excellent moment, j'estime avoir vu un film magnifique et qui fait du bien. Il a de grandes qualités et tout en rendant hommage à une belle démarche de la part du véritable Masashi Asada il valorise la bienveillance, l'entraide ainsi que la photographie et son utilité ou sa magie. Peut-être fera-t-il naître des vocations chez les spectateurs les plus jeunes ou donnera-t-il envie à d'autres de sortir leurs appareils du placard.

Foncez le voir tant que vous le pouvez ! 


[Mashup/Expérimental] "Coluche, un père et manque" de Philippe Bompard (2019)

 Aujourd'hui petite découverte et coup de pub pour le travail de mashupeur de Philippe Bompard, un gars que j'ai croisé par hasard sur Twitter un jour et dont la bio disait, "(m)auteur/(c)réalisateur (mashupeur) du collectif "les cris". Si t'as pas vu "Coluche, un père et manque" bah tu l'as pas vu."

Et je plaide coupable, je n'avais pas vu Coluche, un père et manque et pire j'ai mis un certain temps à me décider à le voir alors qu'il était régulièrement à portée de clic. L'autre jour donc, à l'issue d'un dialogue au sujet du cinéma et des difficultés de la distribution des films de court-métrage en particulier, je me suis dit qu'il était temps d'être cohérent et de soutenir sa création. J'ai lancé son film. Une bonne surprise ! 



"Tout le monde peut dramatiser les choses, suffit de faire le mec triste (...) fin tu vois je dis pas que c'est facile de dramatiser mais c'est plus difficile de dédramatiser, c'est un effort de dédramatiser. Alors que c'est la merde, alors que y'a plus d'issue, alors que c'est noir, alors que c'est la misère... on décide d'en rire". 


Au son, les premiers mots qui nous introduisent dans ce film en expliquent parfaitement l'enjeu, avec Jamel Debbouze qui défend le mécanisme de la dédramatisation, de la prise de recul et du rire face aux situations les plus tristes ou les plus douloureuses. A l'image, c'est son personnage de Lucien dans Amélie Poulain qui articule, s'adressant à Raymond Dufayel, l'artiste reclus qui espionne le monde de loin en se focalisant sur ses tragédies. 

Premier mélange de sources pour ce mashup qui sur toute sa longueur va faire jouer un dialogue similaire entre fiction mythologique, gag social et documentaire dramatique. Comme tant d'autres spectateurs visibles à l'écran, qui tantôt rient tantôt frissonnent en découvrant cette histoire, Raymond Dufayel va faire l'expérience quasi psychédélique d'une déconnexion entre un sujet et les différentes manières de le raconter, car tout cela se déroulera sous ses yeux, dans l'écran de télévision bien connu qui retransmet habituellement les images de sa caméra-espion. Écran qu'Amélie pirate d'ailleurs elle-même dans le film en essayant de changer la perception du monde du vieil homme. Cohérent !

Dramatiser vs dédramatiser, bâtir un héros déchu en larmoyant ou plutôt en riant de sa propre désinvolture face au malheur. Faire de lui l'espoir d'une résistance ou plutôt l'associer à l'image du "cassos déjanté" et perdu d'avance. Coluche, un père et manque va constamment déplacer le curseur entre ces deux pôles en profitant de la possibilité de décalage inhérente au format du mashup.


Le film rit de lui-même, mais ça ne durera pas

Par bien des aspects ce film est très fun. Un peu comme pour une YTP/YouTube Poop sa façon de se permettre les mélanges les plus surprenants amuse. Mais petit à petit la dédramatisation s'estompe, et les images deviennent plus lourdes et grandiloquentes. Lorsque le générique de fin apparaît, on oublie presque qu'on avait commencé par se marrer. 

Après coup on se dit que Coluche, un père et manque est donc un objet intriguant et bien foutu, que le public et le jury du Mashup Film Festival de 2019 ont d'ailleurs décidé de primer en saluant son originalité. A vous de jeter un oeil et de voir ce que permettent le montage et le mashup au-delà de la seule rigolade. On pense sans doute souvent à tort que l'exercice ne peut que favoriser le rire, mais sur ce coup là Philippe Bompard a su démontrer qu'on peut s'en servir pour développer une vraie poétique de la mise en abîme et donc dépasser le simple stade de la plaisanterie. 


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"Soyez comme l'orage. 
Ca signifie qu'un poète doit savoir être audacieux et imprévisible"