[Cinéma] Vaincre ou Mourir de Paul Mignot et Vincent Mottez (2023)




Effectivement, elle est plutôt incroyable cette épopée. J'attendais de voir ce film pour me faire une opinion après toute la polémique autour de lui et de son objectif supposé. Et je suis d'accord. Il y a une entreprise de propagande, franchement malsaine il me semble, et pas grand chose de plus.

Ce récit est celui de Charette et de son héroïsme ou panache supposé. Il n'a que ça à la bouche d'ailleurs. "L'honneur". Qui le transforme en kamikaze dont le véritable talent est de savoir manipuler les paysans choqués par la mort d'un fils ou la crainte de le voir être envoyé à la guerre, afin de les emmener eux-mêmes au massacre en hurlant "pour dieu et pour le roi". Ces paysans qui arguent du fait qu'ils ne peuvent pas se passer de leurs fils car "les champs ont besoin de bras" vont néanmoins apparemment tous choisir d'aller crever bêtement. "Mais avec panache" (à lire avec une grosse voix badass surjouée). Difficile de trouver sympathique ce type possédé par sa propre suffisance, qui vante le sacrifice avant de déplorer "On se fait massacrer... inimaginable".

Le récit, le ton de Charette ("Quel honneur d'être une cible", "J'irais jusqu'au bout", "J'suis hyper stylé nan ?") qui par ailleurs finit clairement grimé en Jesus himself lorsqu'on l'amène au peloton d'exécution, l'utilisation de la musique et du montage à seule fin de grandiloquence indigeste compte tenu de la bêtise de cette situation... C'est dur.


"Je veux être l'homme du panache"

Mais surtout les punchlines ou catchphrases qui sonnent étrangement, comme des adresses au spectateur identitaire d'aujourd'hui qui aurait besoin qu'on rebooste son esprit de résistance et que l'on motive son envie à lui de prendre les armes et de passer à l'acte car "le courage ne suffit pas". La fin du film et le martyr posant la question au spectateur avant d'être abattu "Et si notre histoire venait de commencer ?". Tout ça sent très mauvais. Vraiment.

L'image est soignée. Voilà un véritable élément positif indéniable. Les éclairages, couleurs, cadres sont il me semble plutôt admirables. Si le fond n'était pas si borderline et s'il n'était pas si évident que la "polémique" est fondée, Vaincre ou Mourir aurait pu être une très bonne production pour la télévision, considérant aussi les limites propres aux moyens disponibles. Visuellement c'est très astucieux. 

Mais le confusionnisme tellement palpable et qui a poussé certains spectateurs à hurler "vive dieu vive le roi" comme s'ils se sentaient intégrés à ce film et à son récit, comme s'il s'agissait d'un appel plutôt que d'une fresque historique, cela fait bel et bien de Vaincre ou Mourir une oeuvre dont on peut dire qu'elle est problématique.

Seule la volonté de trouver écho dans les esprits les plus faibles ou déjà conquis par l'aversion à l'égard de la révolution et de la république, dans les esprits de ceux qui dressent déjà des ponts entre la situation d'alors et celle d'aujourd'hui, peut justifier l'idée d'employer des effets de mise en scène et de narration aussi dégoulinants de grandiloquence simpliste, purement stylistique. Les autres spectateurs sans doute bloqués hors du film, au moins perplexes, potentiellement inquiets.

Pour sauver sa peau, il doit mourir.

Je l'ai lu dans d'autres critiques, y compris venant de spectateurs beaucoup moins sévères, certaines questions que j'ai aussi : si on s'en tient à la façon dont ce film le présente et le fait parler, que cherchait donc Charette ? Quelle était sa motivation ? Pourquoi semble-t-il si imbu de lui-même ? Doit-on voir autre chose qu'une sorte de radicalisme dans sa folie qu'il appelle panache ? Est-ce Charette ou Marty Mc Fly, un type qui refuse de se battre mais qui fait volte-face dès qu'on le traite de mauviette ? Et bon sang, qu'ont-ils gagné, finalement, tous ces paysans qui disaient vouloir protéger leurs champs et leurs familles, mais qui en suivant le forcené n'ont récolté que mort et destruction ? Était-ce si important pour eux de se vider de leur sang les yeux au ciel, persuadés de se sacrifier pour Dieu ou pour le Roi ? En quoi cela ferait-il d'eux des français moins brutaux et écervelés que les autres ?

Je ne veux pas être blessant ou manquer de respect à l'égard de celles et ceux qui ont apprécié ce film et s'y retrouvent, c'est la vie. Elle est complexe, je n'ai pas à dire aux gens comment interpréter et apprécier un film et ils ont bien le droit d'avoir leur propre sensibilité. Mais je n'y peux rien, à mon sens à moi, ce que ce film me dit c'est que seul un esprit déjà conquis par un argumentaire contemporain et identitaire, apte à prendre la propagande pour de la lucidité tout comme Charette prend sa folie pour du panache, peut permettre d'en conclure : "J'ai les larmes aux yeux, quel saint homme, snif".





[Cinéma] La Famille Asada de Ryôta Nakano (2023)

 



Distribué sur une petite centaine de copies ce film, s'il passe près de chez vous, mérite vraiment que vous courriez le voir ne serait-ce que pour vivre de belles et puissantes émotions tout en découvrant l'histoire vraie d'une démarche photographique extrêmement touchante. Celle de Masashi Asada. 

Jeune photographe japonais en manque d'inspiration, Masashi décide un jour de mettre en scène ses parents dans des situations qu'ils n'ont pas pu vivre réellement et cela afin de les amuser tout en adoucissant leurs éventuelles frustrations. Il commence par concrétiser ce projet en proposant l'idée à son père, l'homme qui lui a en premier mis un appareil photo dans les mains, et qui a fait le choix de soutenir son épouse, infirmière en chef très investie dans son métier, en restant au foyer pour élever leurs deux fils. En conséquence il n'a pas pu s'orienter lui-même vers le métier et la carrière dont il avait rêvé étant plus jeune : pompier. Masashi lui permet d'imaginer sa vie rêvée le temps d'une mise en scène destinée à créer un faux souvenir, une photographie qui sera ensuite encadrée et mise au mur dans le salon familial.


La photographie "Les pompiers" recréée dans le film


Touché par cette démarche, le père se dit fier de lui et reconnaissant pour le moment d'insouciance, de fantaisie et donc de bonheur procuré par son propre fils et cela à l'aide d'un appareil photo qu'il lui avait offert alors que celui-ci n'était encore qu'un enfant. Masashi qui ne compte pas en rester là propose donc à sa mère, puis à son frère, d'en faire autant. Dès les premières séquences de ce film la bonne humeur, la bienveillance, les sourires en nombre font du bien. 

D'autres situations fantasmées sont alors mises en scène afin de créer de superbes clichés qui tour à tour s'affichent à l'écran, nous permettant d'apprécier pleinement leur véritable beauté esthétique. Un vrai plaisir visuel pour tout amateur de photographie qui ne manquera pas de séduire les profanes également qui pourraient se sentir inspirés, avoir envie de prendre un appareil à leur tour. 

Avec son idée toute simple Masashi procure du plaisir aux siens, en tire une grande satisfaction personnelle tandis qu'il voit les yeux de ses parents se mettre à briller. Le récit est profondément touchant et donne envie d'être capable d'un tel degré d'espièglerie. Il donne envie de s'amuser. 

La musique ska-rock, le montage très rythmé et donc la mise en scène dans sa globalité accompagnent cette ambiance de façon très cohérente, installent le spectateur dans une atmosphère festive. L'aspect comique du film s'exprimant pleinement dans ce premier tiers qui se focalise sur la famille Asada.


La véritable photographie "Les pompiers" de Masashi Asada et sa famille

Mais une "private joke" peut éventuellement se transformer en projet de vie, et c'est ce que pense Masashi qui commence par valoriser sa série photographique en la compilant dans un bel ouvrage (véritablement disponible encore à l'heure actuelle), puis qui songe à professionnaliser sa pratique en la déclinant sous forme de service. Il se rend donc disponible à toute famille souhaitant dialoguer avec lui pour imaginer une situation emblématique, synonyme d'un moment de plaisir partagé, avant de la mettre en scène et l'immortaliser.

Et c'est à l'occasion de l'une de ces rencontres avec une autre famille que le ton du film commence à changer, mettant de côté l'espièglerie car une question se pose : comment faire pour amener ce bonheur là dans une famille touchée par un malheur visible, qui lui aussi finira dans l'image ? Comment garder le sourire si une fois l'oeil dans l'objectif, le photographe prend conscience de ce que l'image représentera peut-être dans un avenir proche : le souvenir d'une personne disparue ? 


"J'observe avec horreur un futur antérieur dont la mort est l'enjeu.“
Roland Barthes, La Chambre Claire

Masashi tente de rester professionnel et de faire son devoir de photographe, mais quelque chose change à ce moment précis : il ne parvient plus à mettre en scène le réel et sa photographie n'est plus un prétexte à l'amusement car seul l'avenir relativement proche dira si ce à quoi elle renverra sera de nature à provoquer le rire ou les larmes. Ce moment d'une grande sobriété vient calmer tout le monde, Masashi et les spectateurs. Fini de rire et toujours en cohérence la mise en scène commence à changer elle aussi. 

Profondément marqué par cette expérience, Masashi semble ensuite pensif, le regard perdu face aux murs sur lesquels il s'apprête à exposer certains de ses clichés. Nous sommes alors le 11 mars 2011, date du tragique séisme de la Côte Pacifique du Tōhoku, suivi de son tsunami (et de l'accident à la centrale nucléaire de Fukushima) sans doute la plus grande catastrophe naturelle moderne connue par le Japon. 

Masashi décide de se rendre dans l'une des provinces touchées par la catastrophe. Il rencontre sur place des bénévoles qui se mobilisent afin de récupérer, nettoyer, afficher des photos de familles retrouvées dans les décombres. L'idée étant de permettre aux survivants de retrouver leurs disparus au moins dans une image, pour avoir un souvenir qui leur est bien entendu très cher. "Les photos sont sacrées" dit l'un des personnages dans le dernier tiers du film, qui semble tout entier vouloir expliquer pourquoi et selon moi y parvient. Mais concernant le récit, je n'en dirai pas beaucoup plus, allez voir ce film ! 


Cette petite fille va proposer un ultime casse-tête à Masashi

Ce que je peux dire, c'est que le tour de force réside dans ce glissement audacieux, en trois actes, de la comédie vers le drame. Le premier tiers se veut extrêmement fun avec son ska-rock, ses angles loufoques et son rythme survolté, le feel good movie se situe principalement durant cette première phase. 

Le second tiers qui illustre les difficultés de Masashi qui tente d'accomplir son propre rêve de professionnalisation marque le passage à une mise en scène plus assagie même si l'humour continue à passer notamment à travers certains personnages secondaires, comme l'éditrice notoirement alcoolique qui ne cesse jamais d'éclater de rire. Il permet aussi d'accorder du temps à Wakana, copine d'enfance de Masashi qui une fois adulte s'avère être sa première supportrice, l'aide à garder confiance en lui et lui ouvre certaines portes (espérant par ailleurs qu'il le lui rendra un jour "au centuple" en l'épousant enfin).


Wakana, le soutien sans faille

Le derniers tiers assume son caractère dramatique et permet selon moi d'affirmer qu'un passage préalable par le rire provoque une plus grande ouverture ou sensibilité aux événements les plus graves. Le rire sollicité en abondance durant le premier tiers permet dans ce film de qualifier la démarche de Masashi Asada lorsqu'il était dans sa propre famille et qu'il se démenait pour la faire sourire, l'amuser, lui procurer de la joie. Mais aussi de nous cueillir, nous embarquer avec ce personnage qui par la suite nous emmène vers une plus grande complexité notamment liée à la photographie. 

Bien sur il y a un propos sur la famille, la vie et la mort, les souvenirs, les rêves et les craintes, tout un panel de sujets existentiels toujours propices à une exploration de la psyché humaine par le cinéma. Mais dans ce film en particulier un autre niveau de profondeur philosophique interroge ce qui fait de la photographie un apport au monde ou plus précisément "à chacun d'entre nous".

La construction en trois actes et trois régions permet d'articuler le récit de façon intelligente et de ne jamais être excessif, dans le rire de trop ou la lourdeur éttouffante. Les quelques allers-retours de Masashi pour visiter ses parents tout au long du film aident d'ailleurs à bénéficier de petits moments de respiration. 

Une autre intrigue au sein de la famille de Masashi que je laisse ici de côté permet un twist revigorant, qui remet un coup de fouet juste avant de nous laisser repartir, énième argument mystérieux que je tiens à mentionner afin de vous motiver à aller découvrir La Famille Asada

Pour moi ce fut un excellent moment, j'estime avoir vu un film magnifique et qui fait du bien. Il a de grandes qualités et tout en rendant hommage à une belle démarche de la part du véritable Masashi Asada il valorise la bienveillance, l'entraide ainsi que la photographie et son utilité ou sa magie. Peut-être fera-t-il naître des vocations chez les spectateurs les plus jeunes ou donnera-t-il envie à d'autres de sortir leurs appareils du placard.

Foncez le voir tant que vous le pouvez ! 


[Mashup/Expérimental] "Coluche, un père et manque" de Philippe Bompard (2019)

 Aujourd'hui petite découverte et coup de pub pour le travail de mashupeur de Philippe Bompard, un gars que j'ai croisé par hasard sur Twitter un jour et dont la bio disait, "(m)auteur/(c)réalisateur (mashupeur) du collectif "les cris". Si t'as pas vu "Coluche, un père et manque" bah tu l'as pas vu."

Et je plaide coupable, je n'avais pas vu Coluche, un père et manque et pire j'ai mis un certain temps à me décider à le voir alors qu'il était régulièrement à portée de clic. L'autre jour donc, à l'issue d'un dialogue au sujet du cinéma et des difficultés de la distribution des films de court-métrage en particulier, je me suis dit qu'il était temps d'être cohérent et de soutenir sa création. J'ai lancé son film. Une bonne surprise ! 



"Tout le monde peut dramatiser les choses, suffit de faire le mec triste (...) fin tu vois je dis pas que c'est facile de dramatiser mais c'est plus difficile de dédramatiser, c'est un effort de dédramatiser. Alors que c'est la merde, alors que y'a plus d'issue, alors que c'est noir, alors que c'est la misère... on décide d'en rire". 


Au son, les premiers mots qui nous introduisent dans ce film en expliquent parfaitement l'enjeu, avec Jamel Debbouze qui défend le mécanisme de la dédramatisation, de la prise de recul et du rire face aux situations les plus tristes ou les plus douloureuses. A l'image, c'est son personnage de Lucien dans Amélie Poulain qui articule, s'adressant à Raymond Dufayel, l'artiste reclus qui espionne le monde de loin en se focalisant sur ses tragédies. 

Premier mélange de sources pour ce mashup qui sur toute sa longueur va faire jouer un dialogue similaire entre fiction mythologique, gag social et documentaire dramatique. Comme tant d'autres spectateurs visibles à l'écran, qui tantôt rient tantôt frissonnent en découvrant cette histoire, Raymond Dufayel va faire l'expérience quasi psychédélique d'une déconnexion entre un sujet et les différentes manières de le raconter, car tout cela se déroulera sous ses yeux, dans l'écran de télévision bien connu qui retransmet habituellement les images de sa caméra-espion. Écran qu'Amélie pirate d'ailleurs elle-même dans le film en essayant de changer la perception du monde du vieil homme. Cohérent !

Dramatiser vs dédramatiser, bâtir un héros déchu en larmoyant ou plutôt en riant de sa propre désinvolture face au malheur. Faire de lui l'espoir d'une résistance ou plutôt l'associer à l'image du "cassos déjanté" et perdu d'avance. Coluche, un père et manque va constamment déplacer le curseur entre ces deux pôles en profitant de la possibilité de décalage inhérente au format du mashup.


Le film rit de lui-même, mais ça ne durera pas

Par bien des aspects ce film est très fun. Un peu comme pour une YTP/YouTube Poop sa façon de se permettre les mélanges les plus surprenants amuse. Mais petit à petit la dédramatisation s'estompe, et les images deviennent plus lourdes et grandiloquentes. Lorsque le générique de fin apparaît, on oublie presque qu'on avait commencé par se marrer. 

Après coup on se dit que Coluche, un père et manque est donc un objet intriguant et bien foutu, que le public et le jury du Mashup Film Festival de 2019 ont d'ailleurs décidé de primer en saluant son originalité. A vous de jeter un oeil et de voir ce que permettent le montage et le mashup au-delà de la seule rigolade. On pense sans doute souvent à tort que l'exercice ne peut que favoriser le rire, mais sur ce coup là Philippe Bompard a su démontrer qu'on peut s'en servir pour développer une vraie poétique de la mise en abîme et donc dépasser le simple stade de la plaisanterie. 


Pour voir le film à votre tour, CLIQUEZ ICI !  
Et pensez à liker et commenter sa vidéo afin de l'encourager pour ses projets futurs. 


"Soyez comme l'orage. 
Ca signifie qu'un poète doit savoir être audacieux et imprévisible"



#ViolencePartagée : Par la Rédaction de France Info (Source : TikTok)

Dans la famille #ViolencePartagée la chaîne France Info commence à se positionner parmi les gros poissons notamment depuis le début de la guerre en Ukraine. Qu'est-ce qu'on se mange avec nos amis de France Info, et parfois dès la première édition. 

La face dans l'derch' tu sais, je touille à peine mon café avant de me poser devant les infos, et le présentateur ou la présentatrice ont beau être des amours sur cette chaîne, ils me montrent des trucs qui devraient foutre ma journée en l'air. 

Dans un monde parallèle où l'humanité triomphe des puissances de l'argent, je me serais autorisé à retourner au lit plutôt que d'aller au taff après avoir vu certaines matinales. Juste le début hein, le premier flash. Vraiment au début de la guerre en Ukraine, c'était non-stop et avec dose d'images explosives ou malsaines.  

Bref l'autre soir après le boulot je me pose je check les infos, je suis au courant de rien et bim dans ma face, pas de bol j'arrive direct sur cette pastille au sujet du harcèlement scolaire au Japon. T'sais ils tabassent parfois à plusieurs en tous cas y'a toujours un apprenti reporter qui a un compte Snapchat ou TikTok.                 


[vidéo violente sauce tabassage attention]

A quoi bon diffuser cela au JT ? A QUOI BON ?

Quelle est l'utilité objective d'une diffusion...pardon... d'une diffusion de plus après des centaines de milliers d'autres ? Pourquoi nous donner les images violentes du réel violent ? Au JT ? Pendant qu'on bouffe ? Pendant qu'on se réveille ? Avant qu'on se couche ? Il est où le moment où il est utile sur le court terme, et sain sur le long, de s'infliger les images ou du moins la brutalité intrinsèque des images elles-mêmes lorsque le sujet est : "les images de violence bouleversent la société qui devient d'ailleurs de plus en plus violente elle-même".

Il est temps de réfléchir.

Update: 

Je reviens là dessus. Je songe simplement à de la complexité : qui voit ces images et dans quel contexte ? Une foultitude de profils variés, du gamin à mère-grand, parce qu'il est sympa Samuel Etienne en plus, et ses collègues aussi. Quand j'étais gosse moi j'avais une partie de Télématin devant les mirettes car ma grand-mère adorait William Lémergie. Ses remplaçants aussi de toute façon. 

J'avais droit aux dessins animés et programmes pour enfants hein, mais après une petite dose de William. Du coup je suis p'tet conditionné, je ne sais pas. Il me faut peu d'infos le matin. Mais... 

Mais j'ai toléré des choses aussi immondes moi quand j'étais mioche, sérieusement ? C'était déjà si laid la télévision, à la poursuite de la crudité ? Un char qui roule sur une bagnole. Une explosion à quelques mètres d'un homme qui sort violemment du champ, et dont personne ne nous donne de nouvelles ensuite. La scène navrante, avec trois cadavres au sol, de civils visiblement, car habillés en vêtements d'hiver simples et colorés. 

France info avaient tout de même mis du flou sur les visages mais d'autres médias ont repris d'autres images du même endroit au même moment, cette fois-ci sans aucune altération. J'ai vu tout ça au petit dej, avant d'aller bosser. 

Et puis il y avait cette invitée en duplex, dont j'ai peur d'avoir oublié le nom... J'ai un peu honte de ça, mais je ne veux pas lui inventer un prénom genre "ça sonne ukrainien ça passe". Autant dire que j'ai oublié mais bref, durant une période Samuel Etienne échangeait avec une citoyenne ukrainienne pour prendre des nouvelles d'elle et de l'atmosphère autour. 

Au bout de quelques semaines elle quittait l'Ukraine pour venir se réfugier en France. Les échanges ont donc naturellement cessé. Mais ce fut en tous cas très curieux de se réveiller "en même temps" que cette citoyenne ukrainienne dans la matinale de France info, décrivant le cauchemar de son peuple et de ses proches, pendant que j'me grattais les couilles en songeant au temps qu'il me restait pour aller chier ET prendre une douche. 

...trêve de divagations. 





Le théorème d'Omayra.

Nous évoquerons aujourd'hui un cas qui n'entre pas spécifiquement dans les catégories du "gore", "snuff", et du "graphic" sanglant. C'est déjà ça. Néanmoins la violence est d'un niveau particulièrement élevé. Il s'agit d'un road rage (pétage de plomb d'automobiliste si vous préférez) s'étant soldé par une bataille de flingues en pleine rue. 




Aux USA ces derniers jours deux automobilistes semblent s'être chauffés l'un et l'autre, aucune idée de ce qui peut bien les avoir mis dans cet état. Mais le propre du road rage, c'est d'être déraisonnable. La plupart des automobilistes connaissent ce sentiment d'énervement, d'agacement, face à une conduite dangereuse ou sans aucune courtoisie. Il pousse parfois à insulter le conducteur d'en face, en hurlant dans l'habitacle transformé en bulle de stress. Récemment j'ai moi-même failli emboutir un SUV de la marque au lion qui forçait l'entrée d'un rond-point. Le stress et la colère engendrés m'ont accompagné durant de longues, très longues minutes. Une fois à destination j'avais encore l'image du véhicule en tête et je tournais en rond, excité comme jaja, imaginant une autre version de notre continuum espace-temps, dans lequel je n'avais pas réussi à éviter cette collision. 

La voiture, ça rend les gens nerveux. Peut-être est-ce parce qu'ils savent pertinemment que cet engin très utile peut également donner la mort. 

Mais revenons à nos moutons. Après s'être échangé au moins une bonne quinzaine de coups de feu sur la voie publique, les deux automobilistes ont été relâchés directement sur place, sans être embarqués ou sanctionnés. Il me semble qu'ils ont été convoqués plus tard à un poste de police pour répondre de leurs actes, et que des poursuites ont donc ensuite été engagées. 

Un internaute a pu avoir accès aux images "dashcam" de l'un des conducteurs. Récupérées ensuite par Phillip Lewis, éditorialiste de première page du Huffington Post à Detroit, qui a jugé utile de les propulser sur Twitter. 

"Watch this". Regardez ça. C'est un impératif les gens. Ne passez pas à côté. Au moment où je découvre cette publication, comme vous pouvez le voir ci-dessus, en moins de 24h le nombre de visionnages est déjà de 769.000, quasi 770. Impressionnant non ?

Plus impressionnant encore, le temps de faire ma capture d'écran et de moi-même la publier en obsédé des publications violentes et virales que je suis, c'est à dire en moins de trois minutes, 10.000 vues de plus : 



De nouveau je capture, je m'apprête à publier mais je me dis, "Tiens, je vais voir si ça bouge encore, en l'espace d'une minute". 

Et force est de constater que ça bougeait vite : 4000 vues de plus en une minute. 



Je n'allais pour autant pas passer ma soirée à recharger une page toutes les trois minutes pour surveiller un compteur, je ne suis pas encore dingue à ce point. Néanmoins je suis repassé sur ce post je dirais deux heures plus tard, et *gling gling gling* on tapait dans le million.



Et tout de suite, alors que je tape cet article, nous en sommes à 1,5 million de vues. 




Bien sur il y a un contexte à garder en tête : les USA qui sont un grand pays en nombre d'habitants représentent donc logiquement un nombre pas croyable d'internautes. Une vidéo qui tape dans les 1,5 million de vues en 24h, ce n'est pas en soi un événement. Ce qui m'interroge c'est l'utilité et l'impact d'une telle viralité. 

En France le cas le plus semblable récemment c'est sans doute l'agression de Yuriy, qui en une poignée de jours a culminé à 4,5 millions de vue. Rapporté au nombre d'habitants en France, C'EST  impressionnant. 



Maintenant, pourquoi suis-je si obsédé par ces phénomènes de viralité, spécifiquement sur les contenus violents ? Car j'aimerais savoir quel mécanisme et quelle justification mènent à un tel constat. La première explication qui me vient en tête, surtout dans le contexte américain, c'est la volonté de dénoncer les armes en quasi-totalement-libre circulation dans ce pays. Beaucoup de citoyens américains aimeraient que la législation change et que moins de leurs voisins puissent se promener une arme de poing ou une arme de guerre dans la boîte à gants ou dans le coffre. 

A l'appui d'images saisissantes du coup, ils tentent d'alerter, je suppose. En observant le comportement du conducteur ici à l'image, on observe qu'il est détendu, écoute de la musique, chantonne même à un moment il me semble, avant de pointer son arme vers l'autre véhicule et avant de faire feu, détruisant au passage ses propres vitres et pare-brise. 

La première chose qui vient en tête de certains spectateurs : ce type a un problème psychologique. Il ne semble pas en capacité de saisir la portée de son geste. Tellement détendu que les spectateurs pensent qu'il y prend plaisir. Par extension, les internautes soulignent donc que dans un pays où la santé mentale (comme ailleurs) est un problème de santé publique de premier ordre, conjuguer cela avec la libre circulation des armes donne naturellement naissance à des événements de cette sorte. 

L'explication militante, politisée, engagée, est donc sans doute à la source de ce partage. Et en soi je le répète il n'y a pas de gore sanglant à voir, ce qui est déjà bien en soi. Ce n'est pas le cas le plus édifiant concernant une culture snuff qui passerait du web spécialisé aux flux mainstream. 

Mais à mon sens toutefois nous sommes bien face à un contenu qui doit interroger, enfin, sur l'impact de ces images sur la jeunesse en particulier. Elle débarque dans un monde qui fait la publicité de la violence en permanence, qui au prétexte de la dénoncer l'expose partout et consolide une image du monde qui peut briser l'innocence des plus jeunes, les déprimer sans doute très fort, et peut-être aussi les convaincre que le monde est ainsi. Peuplé de gens fous, violents, que les politiciens n'entendent pas contrôler excessivement. En fait, c'est GTA IRL. 

Et encore une fois je me demande à quoi sert de voir de telles images, est-il vraiment nécessaire, indispensable, de VOIR POUR COMPRENDRE. La question est sans doute légitime. Car par le passé les USA ont été marqués par les fusillades et le seront sans doute encore demain. Les citoyens de ce pays ont vu d'innombrables gamins fuir leurs lycées, se tenant le bras ou la jambe, une traînée de sang derrière eux. 

Ils ont vu des jeunes devenir des militants, à la suite du meurtre d'un camarade ou d'un enseignant, s'opposer à la culture des armes à feu. Ils ont vu tellement de choses, d'ores et déjà. Et cela n'a pas changé grand chose. Alors, VOIR POUR COMPRENDRE. Est-ce vraiment efficace ? Question plus difficile encore : est-ce que comprendre permet forcément ensuite d'agir ? 

Question posée notamment par les cinéastes syriens il y a quelques années, dans une tribune en partie à l'origine de mon intérêt pour la question des images de violence réelle et de victimes perdant la vie sous l'oeil des caméras. Amers, ils demandaient que nous cessions nous autres occidentaux de filmer leurs morts ou de récupérer les images faites là-bas pour les surdiffuser ici, repassant en boucle, encore et encore, les moments fatidiques durant lesquels leurs propres frères perdaient la vie, massacrés par un régime ou par une haine fratricide que les politiciens du monde entier ne semblent pas réellement vouloir empêcher. 

Ils demandaient à ce que nous nous mobilisions, que nous prenions le sujet au sérieux et que nous devenions visibles dans les rues, nous les citoyens, pour dénoncer ces guerres et ces haines. Ils demandaient que nous agissions. OU BIEN, que ne cessions de regarder. "Ne regardez pas sans agir" était un peu le message. 

Sinon, à défaut, il s'agit d'une simple activité de spectateur qui cherche une catharsis. Quelle catharsis pourrions-nous trouver à travers le visionnage de scènes d'une violence particulièrement obscène ou choquante ? A mon avis, celle du citoyen conscient, au courant, et sensibilisé. 

J'ai vu un film sur le climat et la fin du monde : je deviens un militant écologiste. Mais vais-je agir au quotidien ? Pas sur. Vais-je dire à tout le monde que j'ai vu ce film, et dire à tout le monde de voir ce film ? C'est déjà plus probable. 

Alors face à la violence, aurions-nous le même réflexe ? WATCH THIS. Regardez ! Peut-être n'agirez vous pas ensuite. Peut-être froncerez-vous les sourcils, peut-être exprimerez vous votre dégoût dans un commentaire, perdu dans le flux, en fait éphémère. Prisonniers de l'immédiateté et de cette danse infinie. Je vois, je suis outré, je dénonce, je retourne mener ma vie. Jusqu'à la prochaine fois. 

Que se passe-t-il à l'échelle des individus que nous sommes ? Avec le temps et la multiplication des contenus violents que nous consommons (généralement sans l'avoir demandé/cherché), sommes-nous de moins en moins tranquilles face à l'état du monde ? Sommes-nous sur le chemin d'une révolte, d'une révolution pacifiste, d'une sorte d'éveil collectif ? Ou sommes-nous enfermés dans la banalisation du mal, nous habituons-nous en fait à cette réalité crue, sommes-nous plongés dans le constat-catharsis-résignation ? 

L'image est-elle vraiment utile ? Productive ? 
Ai-je tort de m'opposer à cette circulation effrénée de contenus violents ? 
Ai-je tort d'insinuer que voir et partager n'a rien d'une activité saine et politiquement responsable ? 
Car estimant que notre capacité à interroger les mauvais effets de la fiction s'évanouit lorsque nous consommons du snuff et du réel en pixels de sang ? 

Je travaille sur un théorème, je voudrais l'appeler Omayra. 
Nous verrons bien si "voir la mort en face" nous permet de mieux l'anticiper demain. 
Ou si la seule chose qui s'améliore, c'est le signal satellite. 



"Des images insoutenables, REGARDEZ"

 

Adolescent au début des années 2000, je me souviens que j'allais chez un voisin dont le père avait un ordinateur puissant et une connexion internet de qualité. En général, nous allions sur JeuxVideos.com lire les dernières nouveautés. Ce qui coïncidait bien avec notre quotidien de gamins de région parisienne, qui régulièrement s'enfuyaient pour aller oublier le reste du monde et claquer leur argent de poche à La Tête dans les Nuages.

Mais un jour, je me rappelle de ce copain m'expliquant avoir trouvé un truc dingue sur le web : Ogrish. Ce site hébergeait des tonnes de photos et de vidéos de « réalité crue », de violence réelle, morbide. Cadavres avant ou après autopsies, crânes ouverts et cerveaux répandus lors d'accidents de voiture, morceaux de corps sur les rails d'un suicide, grumeaux humains au bas d'un immeuble, carbonisations à coups de caténaires ou... auto-mutilations curieusement situées. Il y en avait pour tous les goûts.

Je me souviens du choc la première fois. Et de la sensation d'avoir trouvé l'interdit ultime : ce que personne n'a envie de voir. En théorie. Et je dis bien en théorie.



Après quelques années, Ogrish a partiellement fermé. Le site ne publiait plus rien de nouveau, en gros il maintenait ses archives et restait consultable, mais l'activité n'était plus maintenue à proprement parler. C'est alors que Best Gore a pris le relai. Ce site était encore un cran au-dessus car les photos étaient rares, le contenu de choix c'était la vidéo. 

Même ton, globalement, que sur Ogrish, mais avec beaucoup plus de contenus. Particulièrement de guerre ou produits par des narcotrafiquants. Sniper qui fait mouche, soldat qui se bute avec sa propre roquette, torture d'un membre de gang adverse (doigts coupés, balles dans chaque pied, mutilation sexuelle etc), films de Daesh ou encore... la vidéo de Luka Magnotta le dépeceur de Montréal.

J'ai vu sa vidéo. Le gars mutilait le corps de sa victime, le violait, puis coupait un morceau de fesse avec des couverts, histoire de le manger, normal, et avant de laisser son chien lécher le tronc, le sang, se nourrir à son tour. C'était quelque chose. Cet épisode là a valu énormément de problèmes à Best Gore et son créateur/propriétaire, Mark Marek. La justice s'est réveillée. Alors que depuis des années et des années le web grand public (pas le darkweb) regorgeait de violence morbide et de réalité crue, avec des milliers de victimes de crimes, assassinats, répressions politiques ou d'agressions d'ores et déjà exposées à la vue de tous.

Il a fallu un cas médiatisé à l'extrême pour qu'un débat au sujet de ce site prenne forme dans la discussion générale. Le propriétaire a reçu le soutien de sa communauté, mais la justice ne voulait pas lâcher l'affaire si facilement. Il y a un an ou deux, finalement, Best Gore a fermé. D'autres sites tiennent toujours et proposent ce même type de contenus, avec souvent un étrange mélange des genres, les vidéos de mort généralement juxtaposées à côté de publicité ou de contenus à caractère pornographique. Je ne nommerai pas ces sites.


 


Que pensez-vous de tout cela ? Êtes-vous révulsés ? Inquiets pour vos gosses ? Choqués qu'il soit si facile d'accéder aux images réelles de la mort réelle ? Soit. Voici mon problème.

Désormais ce sont les réseaux sociaux qui regorgent de ces contenus. Les sites réservés à cela, qui comme le porno réclament une audience 18+, et surtout qui représentent un pas à franchir, un clic à fournir, sont peu à peu remplacés par la vidéo en mode lecture automatique, publiée dans un feed anodin et grand public. Peut-être avez-vous déjà vu un contenu produit par Deash notamment, car certains relais de ce groupe terroriste partageaient massivement leur propagande sur les réseaux il y a quelques années.

Mais peut-être avec-vous vu autre chose ? Un manifestant propulsé dans les airs par une voiture qu'il tentait de stopper ? Des victimes de l'explosion de Beyrouth se vidant de leur sang, inanimées et au sol ? Une bodycam de policier ricain tuant un suspect, dont le regard se vide en regardant l'objectif ? Avez-vous vu ? Peut-être, peut-être pas.









Pour certaines personnes, diffuser des images d'une violence folle ne pose pas de problème s'il y a derrière une cause politique à souligner. De mon côté je trouve au contraire que c'est problématique aussi, et davantage à l'égard des adultes que des ados. Les adultes s'habituent à utiliser de tels contenus comme argumentaire politique. Et chercheront parfois à clore une discussion ou à gagner la joute en publiant de telles images, accompagnées de réflexions ou d'insultes façon :

"Et ça je l'invente connard ?!"


(2,5M de vues)




Sur Best Gore, les utilisateurs moquaient souvent ce qu'ils voyaient, la mort ou ses victimes. Désormais cela se produit également sur les réseaux grands public. 


(Gaspard Glanz m'a fort gavé ce jour là)


Ici un syndicat policier diffuse au grand public une vidéo disponible sur les sites gores.


Et Yuriy ? Avez-vous vu son agression ? Des millions de gens l'ont vue. Les médias ont rediffusé les images de surveillance, les réseaux se sont chargés des répliques. Les violences entre Palestiniens et Israéliens, avez-vous vu ? Un Israélien qui fonce avec sa voiture contre un Palestinien insurgé et l'écrase contre un mur. Vu ? Celui qu'une pelleteuse écrabouille, car potentiellement, il est porteur d'un engin explosif. Vu ? J'ai vu toutes ces choses, sans l'avoir réclamé.


(4,5M de vues)


Et je vous raconte pas la vidéo visiblement russe de types en combinaisons qui massacrent des cadavres, sans doute pour prélever des organes, dans une morgue clandestine. Je l'ai vue en début d'année dernière celle-là je crois, sur Twitter aussi. C'était assez ouf.

Sur nos réseaux, il y a des gosses, des gens qui ont vécu des traumatismes, ou qui simplement sont révulsés par la violence, la vue du sang. Et qui sans doute aimeraient se construire une image moins déprimante et une philosophie moins nihiliste, face aux réalités de notre monde. Leur laisse-t-on le choix ? Ils n'ont plus à faire d'effort et à se rendre sur des sites dédiés à tout cela, il leur suffit de parcourir leurs réseaux sociaux favoris. Tôt ou tard, ils tomberont sur un contenu horrible mais viral.

Et désormais, même les ministres ou les politiciens partagent la violence. Marine Le Pen avait partagé une décapitation si je me souviens bien. Aujourd'hui même, la mort de Cédric Chouviat, déjà vue et revue, et revue encore, doit être revue un petit coup de plus. Le manque de réponse de l'état, les manipulations de syndicats policiers, le refus de laisser dire qu'un flic PEUT faire mal, tout cela pousse des gens à nous mettre sous nos yeux à tous la réalité d'une situation qui n'est pas reconnue officiellement.

Montrer/faire voir la réalité de certaines situations est un enjeu pour beaucoup de gens, et il est compréhensible. Mais pas de filtre. Non. Une vidéo en lecture automatique, fournie par Libération, partagée par exemple par Manon Aubry. Et comme toujours dans la publication « ces images sont insoutenables ». On aime bien dire que des images sont insoutenables, horribles, qu'elles rendent malade, juste avant de les soumettre à l'entourage virtuel et sans sommation.





Je vomis ce phénomène, et l'absence de débat, de dénonciation à son sujet. Les dangers d'internet ? Le harcèlement, le doxxing. Voilà tout. Concernant le jeu vidéo, le cinéma ou la musique, nos dirigeants et nos grands esprits savent provoquer du remous et accuser nos supports de fiction d'être des facilitateurs de criminalité et de violence. Mais concernant le web, tabou les copains.

Au sujet de la pornographie et de tout ce qui se rapporte au sexe, on aime bien avoir quelques débats. Concernant la violence, on n'en parle pas. 

Pourtant posons la question : des gamins qui découvrent sur des réseaux grand public des scènes de violence inouïes, et qui de plus entendent un discours sécuritaire dans le genre « Les agressions se multiplient, on n'est plus en sécurité nulle part, la société est de plus en plus violente ». Quelle image du monde peuvent-ils constituer dans leurs esprits ? Comment y réagissent-ils par la suite ? Comment la disparition progressive et qu'on croirait programmée de l'innocence et de la naïveté conditionne de nouvelles générations ? Hmm ? Montrer la violence crue, gore, sanglante, la haine, le racisme, le viol, la répression etc et en faire une réalité envahissante, est-ce moins dangereux que de laisser un ado jouer à GTA ?


Petit Frère, IAM :

« Les journalistes font des modes, la violence à l'école existait déjà
De mon temps, les rackets, les bastons, les dégâts
Les coups de batte dans les pare-brise des tires des instituteurs
Embrouilles à coups de cutter
Mais en parler au journal tous les soirs ça devient banal
Ça s'imprime dans la rétine comme situation normale
Et si petit frère veut faire parler de lui
Il réitère ce qu'il a vu avant huit heures et demie »

La fiction est-elle encore responsable de quoi que ce soit de nos jours ? Peut-on encore sincèrement se focaliser sur elle en oubliant tout le reste ? Finira-t-on enfin par pointer la responsabilité des médias qui ont généralisé le fait de consommer de la violence ?

Akhenaton ajoutait : « Et je ne crois pas que petit frère soit pire qu'avant, juste surexposé à la pub, aux actes violents ». Et bien moi j'ose le dire, petit frère est pire qu'avant, sera pire que maintenant, si rien ne change quant à l'image du monde qu'on lui insère dans la rétine, en oubliant de contrôler quels contenus sont diffusés sur les supports les moins propices à leur visionnage.

Je ne sais pas quoi dire ou faire pour alerter autour de moi, faire entendre cette inquiétude qui me semble « civilisationnelle » comme diraient certains. Car ceux qui dénoncent la violence qui se produit dans le réel, la nourrissent souvent, selon moi, en exposant à tous les images qu'on en a tirées. Un cercle vicieux. D'une part, le fait de surexposer comme par réflexe les images violentes que nous trouvons démontre qu'il est aisé de goûter au "buzz" en en produisant. Vous souvenez-vous du jeune qui éclatait un chaton contre un mur ? En tous cas sa vidéo a cartonné. Mais de plus, en installant un tel mécanisme, on banalise vraiment la violence, on l'affiche partout. Bien sur elle existe et il n'est pas question de la nier, mais en quoi est-ce nécessaire de l'exposer partout ? Pourquoi semble-t-il si important aux yeux de certains de pouvoir interrompre la journée de quelqu'un, son "surf" sur internet, en lui mettant de la violence sous les yeux ? 

Autre question ; lorsque des internautes partagent sur Twitter la vidéo d'une femme qui frappe son enfant en Colombie, qui lui met des coups de pieds et de poings dans le ventre, et lui écrase la tête avec son pied une fois qu'il est au sol, qu'espèrent-ils ? Que nous la reconnaîtrons ? Cette voisine qui ne se situe qu'à quelques milliers de kilomètres ? Que nous avertirons la police ? Et puis, le gamin tabassé, a-t-on l'assurance qu'il est toujours en vie ? Parfois il est bien difficile de comprendre quelle pourrait être l'utilité, tout simplement, d'une telle diffusion et du visionnage associé.

Qu'il était bon, en réalité, le temps d'Ogrish, et celui de Best Gore. Il produisait un sentiment d'interdit, de passage derrière le rideau, de coulisses du monde, de réalité qui ne se découvre qu'au prix d'une volonté de la découvrir. Désormais, la violence est à la télé, à la radio, sur internet, chaque jour une saloperie morbide horrifiante à consommer. Si GTA 6 sort un jour, et s'il reste dans l'esprit des opus précédents, irrévérencieux, un môme quelque part fera bien une saloperie que médias et politiciens voudront assimiler au jeu vidéo. Personne n'ira demander ce qu'il pensait du monde réel et s'il avait nourri sa vision du monde réel, à partir d'images du monde réel.

On trouvera toujours moyen de construire un récit dans lequel la fiction elle-même est coupable, tout en refusant paradoxalement de questionner ce qui relève du réel, et de nos pratiques en terme de captation/diffusion de ce réel. A terme, j'en suis convaincu, la violence n'aura fait que gagner du chemin, être « banalisée » par celles et ceux qui disent la trouver aberrante.

Je hais cela. Et j'ai souvent besoin de le dire.

Bon, je dois aller lire mes mails. En quoi le fait d'aller ouvrir ma boîte mail pourrait jouer sur ma vision du monde et m'en dégoûter ? Je vous le demande.