Cet ouvrage passionnant aborde la
question de la condition humaine « connectée » et du
grand changement de paradigme vécu par l'humanité toute entière,
condamnée à réactualiser sans cesse sa perception du réel mais
aussi des concepts d'identité et d'espace-temps. Afin de définir
les enjeux de cette transformation de notre perception et de l'impact
qu'elle a au final sur la nature même des choses perçues, les deux
auteurs proposent de multiples références aux pionniers de la
littérature qui avaient anticipé l'avènement du village global et
reprennent les noms d'ouvrages célèbres afin de nommer leurs
chapitres. La Condition Humaine, Vie et destin, L'Écume des jours,
La Carte et le territoire, Les Mots et les choses, L'Humeur
vagabonde, Le Capital, L'Ancien Régime et la Révolution et enfin La
Foire aux vanités.
Je ne peux que vous conseiller la
lecture de ce livre qui en dit long sur la profondeur des changements
que nous vivons et auxquels nous adaptons notre mode de vie, partagés
entre le réseau et le réel. Très accessible il fera le bonheur des
passionnés de ces questions tout comme celui des simples curieux à
la recherche d'un regard global et argumenté sur notre « nouveau
monde ».
En bon internaute conscient de sa condition numérique (merci les auteurs) je vous propose les extraits qui ont retenu mon attention :
« Avant le numérique, vivre une
expérience était une chose lente, personnelle, une façon de
s'approcher des choses, des gens, des situations et d'avoir la
sensation sinon de les dominer, à tout le moins de les comprendre et
de se situer en regard. L'expérience numérique est autre. Elle
tient du flux, du mouvement, de la séquence, du rapport immédiat
entre des contenus dont on peut rester détaché mais dont on
détermine ce qui les relie. » (p.18-19)
« Chaque seconde passée devant
un écran justifie l'avertissement adressé à Anakin Skywalker,
encore enfant, au début de La Guerre des étoiles :
« Souviens-toi, lui dit le Jedi Qui-Gon Jinn, c'est ton
attention qui détermine ta réalité. » (p.29)
« Deux programmateurs peuvent
produire le même résultat avec des choix si distincts que leur
entourage les considère pour l'un comme un artiste et pour l'autre
comme un barbouilleur de code. L'élégance d'une solution commence
avec le choix du langage informatique utilisé. Il existe plusieurs
milliers de langages et une bonne centaine sont largement pratiqués.
Les critères abondent pour savoir lequel retenir : contrainte
de l'environnement technologique, recherche de l'efficacité, volonté
de recycler un vieux code plutôt que d'en écrire un neuf, ambition
d'inventer et même désir de suivre la mode. » (p.104)
« Philosophe juif allemand, mort
en fuyant le nazisme, Walter Benjamin paraissait deviner la venue de
la connexion universelle en posant que « la distinction entre
auteur et lecteur est en train de perdre sa dimension fondamentale
pour se transformer en une distinction fonctionnelle liée aux
circonstances : à tout moment le lecteur est prêt à devenir
écrivain. » (p.122)
« Un froid constat s'impose :
l'univers numérique est un monde social sans friction, où l'on se
croise sans se voir ni se toucher, sans partager de mémoire
collective ni écouter un narrateur unique. Une vie publique en haut
débit mais dispersée sur un réseau immense. » (p.172)
« Le réseau est un territoire
propre à l'expression de la révolte, pas à la construction de la
révolution. » (p.180)
« La connexion permanente a
changé le public, sa réception de l'information, son cynisme et son
émotion, son désir de partage et sa pratique de la participation.
L'internaute veille, il est actif et son attention exclusive est
désormais difficile à obtenir. » (p.186)
« Dans un monde où rien n'est
certain, où les croyances transcendantales ont été sapées par le
matérialisme scientifique, ou même l'objectivité de la science
s'en réfère au relatif et à l'incertitude, une voix humaine
esseulée, racontant sa propre histoire peut sembler être le seul
moyen authentique de traduire un état de conscience. » (p.199
/ Citation de David Llodge).
La condition numérique de
Jean-François Fogel et Bruno Patino, 2013, éditions Grasset &
Fasquelle (6,70€) Consultable sur Google Books
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