Il y a quelques jours le zapping a offert son dernier redécoupage génial et quotidien de la télévision et de ses travers. Le Canal + de Vincent Bolloré sera visiblement grandement transformé. Out les émissions qui permettaient au clair d'être une longue soirée critique ou corrosive. Les Guignols qui étaient déjà passés au crypté annonçaient le mouvement, et les quelques émissions qui survivront à ces transformations ne seront plus visibles pour l'ensemble des téléspectateurs. L'offre gratuite en replay devrait sans doute permettre de continuer à accéder à ces programmes via le site internet de Canal + pour quelques temps.
Mais vu l'ambiance je ne serais pas étonné que Canal + se transforme en concurrent direct aux plates-formes VOD déjà en place et qui ne parviennent pas à se démarquer les unes des autres. Sous l'impulsion de Vincent Bolloré et d'un partenariat avec Samsung la chaîne proposera bientôt ses programmes sur ces téléviseurs. "Les usagers pourront ainsi s’abonner à Canal+ directement via l’interface, sans avoir besoin d’attendre la livraison du fameux décodeur après quelques jours."
Le Zapping a consacré
un épisode entier à Vincent Bolloré.
A terme je pense qu'il n'y aura plus d'engagement du tout sauf à prendre un abonnement "1 mois". Ils pourraient même gagner à vendre l'accès à l'heure ou même au "pack" d'émissions en particulier ? Je m'attends à tout sauf la pérennisation de l'accès gratuit/clair à tout programme. Si à terme la chaîne intégrée aux téléviseurs nécessite simplement l'achat d'une télécommande permettant ensuite d'accéder à MyCanal pour regarder des programmes, le business plan de Bolloré est surement déjà bien rôdé et il implique sans doute de casser la baraque.
En 2014, Manuel Alduy, le responsable de "Canal OTT" le projet pour Canal sur internet, exprimait son souhait de développer l'offre gratuite.
"Depuis sa création il y a 30 ans, le Groupe Canal+ a veillé à développer ses offres de TV payante, linéaire et en rattrapage, sur tous les réseaux (diffusion terrestre, satellite, câble ou ADSL) et aussi sur l’Internet ouvert grâce aux sites et applications dédiées. L’application MyCanal, qui permet aux abonnés de retrouver l’ensemble de leurs chaînes live ou à la demande ainsi que tous les services enrichis sur tous les écrans au sein d’un unique portail, a d’ailleurs fêté son millionième téléchargement le jeudi 14 mars. Le groupe est donc déjà présent sur l’Over-The-Top et il s’agit maintenant de renforcer cette présence, notamment dans le web gratuit. Canal OTT rassemble donc en un même département des équipes qui travaillent d’une part pour le web gratuit et d’autre part pour le payant dans le but d’imaginer ensemble les nouvelles offres de demain, plus mobiles et plus individuelles." (Source)
En Juillet 2015 on apprenait une nouvelle importante :
"Orange, TF1, M6 et France Télévision n'ont pas pu se mettre d'accord sur la fusion de leurs services de vidéo à la demande (VOD) pour concurrencer l'américain Netflix." (Source)
Vincent Bolloré a pris le contrôle de la filiale Canal + et de ses programmes via sa position chez Vivendi deux mois plus tard. En 2016 les Inrocks annoncent que Manuel Alduy, l'homme du futur de Canal en ligne fait partie de ceux qui démissionnent en manifestant leur désaccord avec la nouvelle vision du groupe :
"Déjà en 2014, face à la menace Netflix, Alduy, interrogé par L’opinion, s’interrogeait sur l’avenir incertain de la chaîne mais n’hésitait pas à insister sur la singularité de l’identité Canal: “Nous devons avoir un pied dans ce qui fait notre ADN et un autre dans cet univers ouvert pour repérer ce qui peut nous correspondre”. De quoi être circonspect quant aux prochaines décisions concernant les offres de production audiovisuelle estampillées Canal Plus." (Source)
On dirait bien que la partie gratuite du projet va lentement s'estomper, à l'image du concept même de toute "chaîne de télévision" sacrifié car la télévision devient connectée. En toute probabilité, Canal + n'existera plus en clair sans être payante d'ici quelques mois. Bolloré va judicieusement investir ses millions et fabriquer le Netflix français, je mets un cent là dessus. Je pense que c'est dans cette logique que Canal + voit disparaître son JT et son légendaire Zapping. Il est par nature lié à la télévision et à son histoire. En finir avec lui et l'information c'est sans doute un message très clair.
Pour ma part j'avais donc envie de verser une petite larme quand même car en dépit de tout ce que la télévision produit de néfaste, cette émission qui offrait son auto-critique miraculeuse la rendait presque utile en offrant chaque soir un sentiment global sur la veille et contre-balançait le peu de recul qu'impose un tel média. Car cette émission produisait du sentiment à la manière du cinéma, à l'aide d'un cut. Cinq ou six petites minutes pour condenser l'histoire d'une journée. La télévision comme un réalisateur tout puissant s'occupant elle-même du cadre, des acteurs, de fragments de texte et de leur teneur. En gros c'était l'émission, je le pense, qui faisait palpiter en France le coeur de nombreux amateurs de montage. A la fin de l'année, les sacripants se permettaient carrément de balancer le best-of du pire de tout ce que nous avions passivement pris dans la tête pendant des mois. Toujours avec la même contrainte de temps et de "rushes" déjà tournés, mais sur une année entière. Pendant un temps ils diffusaient ces condensés lors d'événements publics à l'image de la "Nuit du Zapping" initiée en partenariat avec Solidarité Sida en 1996. Ils avaient relancé une tournée en 2009.
Pourquoi était-ce si génial ? Pourquoi était-ce... du cinéma ? A mon sens le Zapping de Canal + avait tout de la performance artistique quotidienne. Elle reposait sur le cut et la possibilité de créer un ton global, d'où mon choix de parler de sentiments quotidiens sur la veille, en propulsant grâce aux raccords des émotions et des idées aux spectateurs. Les politiques en général étaient des cibles privilégiées du Zapping qui associait souvent leurs déclarations à des images qui font rire ou qui évoquent des personnages de menteurs comme Pinocchio. Ou Super Menteur des Guignols. Cette façon de pouvoir utiliser l'ensemble des images produites et diffusées sur une seule et même journée leur permettait de tout déconstruire en cinq minutes. Si par exemple un politicien travaillait dur son image toute la journée mais que l'ensemble de la classe politique lui cassait du sucre sur le dos au même moment en face d'une autre caméra, il était possible que les deux discours puissent se retrouver dans le Zapping, avec entre les deux *kchhhh* l'image d'un lion capturant sa proie au ralenti.
Le simple fait de créer du sens à partir de raccords n'aurait pas pu être de l'ordre de la performance si les équipes du Zapping n'avaient pas eu à s'imposer la mission de le faire au lendemain même du contexte dans lequel les images avaient été produites indépendamment de leur projet. Mais cela aurait tout de même été de l'ordre du cinéma au sens pur. Cette émission poussait le spectateur à rire face à certaines choses dramatiques ou à l'inverse s'arrangeait pour les amener en pleine euphorie vers des images de drames humains pour mieux les préparer à une déclaration politique à la limite de la xénophobie. Renvoyer aussi vite et à une aussi large audience un reflet critique et parfois violent de ce qu'elle accepte passivement d'ingurgiter au 20h ou dans la télé-réalité donnait au Zapping le caractère d'une performance subversive et donc à mon sens hautement artistique, car la télévision représentait déjà en soi un renversement du réel. Rien à voir avec le "zap" qu'a inventé le web et qui ne fait que compiler sans jamais produire aucune critique ou identité. Il s'agissait bien de renverser la vapeur et dans un temps très court, fugitif comme un éclat de lucidité au cœur du chaos. C'est donc très triste que le Zapping disparaisse.
Pour relativiser, on se dira que c'est l'évolution du monde qui nécessite qu'on passe à autre chose un jour. Comment serait-il possible de continuer à faire le Zapping alors que tout finit sur le web ? Une des contraintes indispensables de cet exercice consistait à réduire le nombre de canaux repris en privilégiant ceux qui étaient eux-mêmes en clair. Il y avait donc eu un nombre réduit puis de plus en plus élargi de chaînes qui sont apparues dans le Zapping avec notamment le lancement de la TNT. Mais maintenant que tout va se passer sur internet qui est un réseau immense aux contenus "en clairs" trop nombreux et où le monopole français du payant semble être le nouveau projet du groupe, l'émission qui symbolisait si bien ce qu'on appelle affectueusement (ou pas) l'esprit Canal est morte sur l'autel du progrès. Ou d'un futur fiasco économique qui ne ferait pas de mal à Bolloré et au capitalisme institutionnalisé. (Pas tellement à nombre de gens qui bossent sans doute pour lui en même temps...argh.)
La fin du Zapping.
L'Année du Zapping 1998
(qui débute avec un "backstage" dans les locaux du Zapping)
L'Année du Zapping 2000
L'Année du Zapping 2002
L'Année du Zapping 2003
L'Année du Zapping 2004
L'Année du Zapping 2005
(avec une introduction magistrale)
L'Année du Zapping 2006
L'Année du Zapping 2007 (partie 2)
Et pour les autres...
Youtube is our friend.
Merci au Zapping
CHAPEAU BAS
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