Tous au Larzac




Des planches cloutées cachées dans des flaques d'eau, un élevage de moutons sous la Tour Eiffel, la ténacité face au plastiquage d'une maison familiale par l'armée française...Les paysans avaient ramené en camion leurs balises de tirs aux militaires, devant la porte de la base, après les avoir fait tomber. L'armée se heurtait à une résistance de plus en plus déterminée.

Ici, ces femmes qui discutaient de la lutte se tiennent la main pour bloquer la route aux véhicules de la base qui approchent. Le premier fonce dans le tas, qui s'écarte heureusement. Le second sera bloqué par ces femmes, assises sur la route. Tout n'est qu'une question de détermination dans cette histoire.

Et c'est en France, citoyens expropriés par l'Etat versus l'armée, 1970-1981. 
Page ARTE

Un bon scénario, à quoi ça sert ?

Le scénario est avant toute chose un outil et un document de travail. Il permet par exemple à une équipe de cinéma de découvrir le film et son développement narratif pour mieux aborder le tournage en prenant connaissance des enjeux de l‘œuvre, de le lire comme un roman qui dessine le ton du film et l’identité de ses protagonistes. Mais il aide également le scénariste, auteur ou cinéaste, à démarcher des producteurs qui par le biais de cette lecture pourront eux aussi prendre connaissance de la teneur du projet tout comme du talent visionnaire sur lequel parier. On peut dire qu’à la lecture d’un scénario précis, très descriptif et écrit avec soin, le lecteur pourra d’un même coup entrer facilement dans un monde fictif et évaluer le talent ou l’originalité de celui qui l‘aura imaginé.

En pratique, le scénario est un document dont la rédaction est pétrie de règles relativement invariables. Il décrit les actions, les lieux, les déplacements de personnages et leurs interactions pour permettre à la personne qui le lit de visualiser des images qui n’existent pas encore. En outre, il doit donc être particulièrement clair et précis car il véhicule des idées que seul le rédacteur du dit scénario connaît dans toute leur complexité. La comparaison du scénario de la première séquence de La Mala Educacion (La Mauvaise Education) de Pédro Almodovar avec ce qu’il a amené à l’écran permet de saisir toute la précision requise pour traduire une vision unique. Grâce à ce document, une équipe technique peut identifier par avance des besoins liés aux décors, aux costumes, tout ce qui construit l’image à laquelle le spectateur sera confronté en terme de couleurs, de sons ambiants, de nature des déplacements. Il présente la réalité imaginée par le scénariste en l’abordant comme si le lecteur en faisait l’expérience sensorielle, comme s’il vivait le scénario.

Il n’aborde pour autant pas les mouvements de caméra ou les questions techniques, d’autres documents de travail tels que le story-board ou le découpage technique sont prévus à cet effet. En ce sens, il participe de la construction d’un monde fictif en évacuant toute forme de trahison du medium. Nous avons vu que malgré tout certains scénarios se présentent comme des cas particuliers à l’instar de The Rope (La Corde) de Alfred Hitchcock. Sorti en 1949, il marque l’histoire du cinéma par sa prouesse technique, créer un film d’une heure et demie composé d’un seul plan (en réalité plusieurs longs plans raccordés de façon discrète pour donner l’illusion de continuité). Mais Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Courdoson insistent pour leur part sur le fait que la prouesse vient d’un film « dont le héros est la caméra », chose traduite dans le scénario. (1)

Si académiquement le scénario de fiction permet au lecteur de s’oublier lui-même au sein d’une réalité fictive comme il devrait être amené à le faire dans le film qui en découlera, il inclut cette fois des éléments techniques dans le scénario pour souligner que des mouvements de caméra révéleront des éléments donnant au spectateur le statut de complice aux criminels qui cachent leur forfait. Grâce à l’angle de prise de vue et à un mouvement particulier le spectateur voit dépasser d’une malle à livres un bout de corde indiquant la présence en son sein du cadavre dissimulé. Souvent grâce à un mouvement de caméra, Hitchcock montre au spectateur une chose que les personnages ne savent pas eux-mêmes ou lui permet d‘anticiper des moments importants comme l‘empoisonnement d‘Ingrid Bergman dans Notorious (Les Echaînés) grâce à un gros plan sur une tasse (2) avant que ceci ne se produise. Pour pouvoir faire comprendre à un producteur/lecteur que le film comportera une telle subtilité à l‘image, il faut donc parfois détourner les règles afin de se montrer audacieux, et donc se permettre d’inclure, en cas d’extrême besoin, des éléments techniques qu’on ne saurait déceler à la lecture d’un scénario classique.

Néanmoins ces exemples restent limités et la fonction première du scénario est, comme le dirait Pierre Léon à propos du travail du cinéaste de « donner une forme […] à organiser, à replier de telle façon l’éparpillé des éléments qu’il roule dans un lit comme un fleuve libre, et pourtant contenu dans ses rives ». (3) Par le biais du scénario, le cinéaste couche sur le papier une vision de sa propre histoire et oriente, guide le regard du spectateur en choisissant de lui révéler certains éléments narratifs ou en contraire d’en omettre d’autres. Ce que certains appellent la poétique du cinéma, un agencement constant d’éléments qui se font écho pour créer un tout unique.

Grâce à un long travail de synthèse et de mise en forme, il peut donc coucher des idées sur le papier et développer grâce à cet exercice un ou des sujets phares qui tracent les problématiques à résoudre pour ses personnages, selon en tous cas le modèle-type du scénario hollywoodien, partant d’une exposition vers une intrigue et enfin un dénouement/climax.

Cette notion de couchage des idées sur le papier est primordiale pour certains cinéastes comme David Lynch. Artiste complet, il s’adonne à toutes les formes. Sculpture, peinture, composition de musique électronique, bien entendu réalisation de cinéma, activité pour laquelle il écrit lui-même ses scénarii, parfois assisté. Dans une sphère plus privée, il pratique la méditation transcendantale et accorde une grande importance aux messages que le cerveau peut nous envoyer, nous propulsant dans des états plutôt que répondant à des questionnements personnels. Son approche mystique de la vie se ressent dans son approche très libre des arts et du cinéma. Pour sa part, c’est l’idée qui est le moteur à tout mouvement de création. L’écriture du scénario n’est alors pas calquée sur le modèle hollywoodien car il préfère installer des ambiances ou des climats plutôt que d’établir des enjeux narratifs auxquels répondre. Pour créer la série Twin Peaks il propose à la chaîne ABC deux éléments seulement imaginés avec Mark Frost après qu’ils eurent abandonné un projet de téléfilm sur la mort de Marylin Monroe : le plan d’une ville et l’idée d’un corps de jeune fille abandonnée sur les rives d’un lac proche, enroulée dans un genre de film plastique.

Pour Lynch et Frost, pas question de donner de solution au meurtre de Laura Palmer. La scénario servira aux deux compères à agencer à l’échelle d’épisodes des idées et métaphores abstraites, à confondre rêve et réalité pour mieux appeler l’interprétation du spectateur qui perdu ne partira pas à la recherche d‘une finalité mais plutôt à la recherche d‘une compréhension des idées de Lynch séquence par séquence, comme un exercice de décodage. Pour faire un parallèle, nous pouvons dire que le scénario fait office de psychanalyse partielle, intégrant les messages les plus abstraits de l’inconscient (les idées venues d‘elles-mêmes) sans chercher à les analyser. Le bon scénario pour Lynch est celui qui comparable à une grande marmite servirait à rassembler des ingrédients divers presque au hasard afin de voir naître une saveur, chaque idée étant l‘un de ces ingrédients.

Pour Lost Highway, David Lynch a par exemple rédigé une version finale du scénario dans laquelle toutes les séquences à caractère explicatif des versions précédentes ont été exclues. (4) Au fur et à mesure de son développement, le scénario devient alors un écrit unique avec son langage propre, et la capacité du cinéma à montrer/cacher certains éléments lui confère sa saveur particulière. C’est un travail de longue haleine comparable à la psychologie qui permet de mieux traduire les idées en identifiant ou évacuant les choses utiles ou non à une bonne compréhension, ou à l’inverse à la création d’un univers trouble qui appelle à une interprétation de signes.

N’en dire pas assez nuirait à la clarté des enjeux et plus simplement des lieux, de tous les éléments matériels qui composent l’univers du film. Mais en dire trop serait tomber dans une forme de surabondance des informations qui détruirait toute possibilité d’immersion pour le spectateur, devenu captif, sans aucune liberté d’interprétation ou de déduction.

M.Night Shyamalan, cinéphile autant que cinéaste, se permet beaucoup de références au cinéma dans ses œuvres. Dans La Jeune Fille de l’Eau (Lady in the Water) sorti en 2006, il fait dire à l’un de ces personnages que le scénario est parfois bafoué par cette surabondance, nuisant à la construction de ce monde fictif, par la présence de personnages qui disent tout haut ce qu’ils pensent. Ce comportement n’existant pas chez l’Homme traduit la construction d’un monde fictif qui n’a rien de réaliste, et l’immersion se fait plus difficile. Cette façon de procéder appartient au monde de la télévision et des médias qui livrent l’œuvre au spectateur chez lui, où il peut ne pas écouter, ne pas regarder, aller au frigo, aux toilettes ; là où le cinéma invite quiconque à aller jusqu’à la salle de projection plongée dans le noir avec un fauteuil pour seule place, afin entrer dans le film et se soumettre à son langage. Le bon scénario permet d’établir ce langage et de le clarifier.

Répondre à des problématiques, créer des attentes, établir des ambiances ; le scénario touche à tout ce qui a trait aux idées pour donner naissance à la diégèse, pour établir un monde dont les limites sont le début et la fin du film. Il décrit avant tout le monde que parcourent les personnages, leur mode de vie, leurs caractères.

Il inclut également le dialogue dont la forme prend une importance considérable pour certains cinéastes, allant jusqu’à influencer la forme même de la mise en scène, de la prise de vue. Pour François Truffaut et tout une génération de cinéastes prônant un retour du cinéaste-auteur, nous avons vu l’exemple de Baisers Volés et de cette séquence de dialogue entre Doinel et Madame Tabard. Delphine Seyrig y évoque dans un monologue devenu culte sa lecture du livre Le Lys dans la Vallée d’Honoré de Balzac. Ce faisant, elle détourne le but sous-entendu de leur relation épistolaire : coucher ensemble. Dialogue et mise en scène prennent alors la forme d’un tourbillon.

En évoquant ceci, elle détourne l’objectif de sa venue. Doinel lui-même en abordant la littérature cachait maladroitement ses intentions. Elle se retrouve alors à opérer des déplacements qui répondent à cette logique, elle tourne autour de Doinel, qui lui-même en cohérence avec la situation se cache pratiquement sous sa couette, immobile. Par ailleurs, le texte de Delphine Seyrig explique le roman dont il question comme étant l’histoire d’un amour qui n’a pas pu être vécu, ce qui s’avère lamentable à ses yeux. Une sorte de mise en abîme de la trame narrative du film trouve un écho dans cette explication du roman qui lui aussi évoque un jeu de métaphores, de langage codé. Ce roman fait d’ailleurs partie de L’Etude des Mœurs. Ce film de Truffaut et son scénario sont jugés audacieux alors car par ses choix narratifs ils font le constat que l’écrit (le roman/le scénario) servent traduire des intentions inavouables, déguisées.

Le scénario dans la forme peut donc amener à traduire ces objectifs et moyens détournés grâce aux dialogues. Pour ce faire, le scénario peut prendre plusieurs formes et à volonté glisser des éléments de compréhension à l’équivalence de ce que les personnages eux-mêmes sont sensés délivrer comme messages ; le spectateur par le biais de ces formes cohérentes peut alors identifier sa poétique du cinéma et déduire la nature des enjeux et objectifs, sans qu’il ne soit besoin de faire dire trop explicitement aux personnages ce qu’ils pensent, bien au contraire. Une façon d’insérer le spectateur dans ce jeu de séduction qui se base sur le même phénomène que le cinéma : divulguer/cacher des éléments de compréhension.

En résumé, le scénario peut prendre de nombreuses formes et autoriser les transgressions au modèle type hollywoodien en recherche de crédibilité du monde fictif, qui veut à tout prix masquer le medium cinéma.
Permettre d’entrevoir mentalement les images que l’équipe aura à fabriquer en détaillant les décors, déplacements, costumes, traits physiques ; il faut bâtir un univers qui tient debout. Permettre également de saisir des intentions de ces personnages par le biais de la forme que prend la rédaction du scénario, soit en choisissant par exemple d’inclure une voix-off qui traduit les pensées d’un personnage, soit au contraire en gardant muets des personnages mais en donnant à l’image des informations implicites (Hitchcock illustre cette situation à merveille). Et pour parvenir à ces objectifs, pour avoir un bon scénario, la chose primordiale : il a besoin de clarté, de précision et de parcimonie.



(1) 50 ans de cinéma américain de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Courdoson
Ed. Omnibus, 1995

(2) Hitchcock : L’Illusionniste par Sebastien Bazou
(Captures et analyse : http://www.artefake.com/HITCHCOCK-L-illusionniste.html)

(3) Marginalia de Pierre Léon
Trafic N°50 Qu’est-ce que le cinéma ? Ed. P.O.L, 2004

(4) Lost Highway : l’isolation sensorielle selon Lynch par Thierry Jousse
Cahiers du Cinéma N°511, Mars 1997 (http://www.vadeker.net/articles/cinema/lynch2.html)

La plus unique des orgies : The Movie Orgy diffusé à Amiens au 31è FIFA

C’est au Ciné St Leu que l’évènement spécifiquement adressé aux cinéphiles s’est déroule durant le 31è festival international du film d’Amiens avec la projection de l’anarchique et néanmoins limpide The Movie Orgy. Le plus impressionnant à la sortie et après avoir digéré ces quatre heures trente en trois bobines, c’est le net sentiment que le public faisait partie du film en lui-même. Bruits d’ouverture de paquets de gâteaux, pauses toilettes pour certains spectateurs, envie d’en griller une pour d’autres…jamais nous n’aurons vu projection plus libertaire et mouvementée.

Joe Dante nous disant avant le début de la projection que « toute sortie n’est pas définitive », incitant les spectateurs à se mettre à leur aise, à ne pas se sentir gênés si l’envie leur prend d’aller se dégourdir les jambes quelques minutes. Une idée brillante puisque sous ces conditions, aucun spectateur n’est sorti sans revenir dans la salle. Nous avons même gagné un spectateur durant la deuxième bobine, avec un Joe Dante visiblement nostalgique qui s’est pieusement glissé dans la salle au milieu des curieux afin de fixer l’écran d’un regard soutenu, avec sans doute une certaine fierté à l’écoute des rires s’échappant des travées.

« Collage de pop-culture américaine des années cinquante et soixante ». C’est ainsi que Dante nous résumait le projet The Movie Orgy. (Voir notre entretien dans ces pages). Concrètement, c’est un film de montage utilisant une montagne d’images préexistantes sans jamais en avoir acquis les droits d’exploitation. Un ovni qui met en lumière le caractère politisant des programmes populaires diffusés aux Etats-Unis durant des années de guerre froide, d’éventuel Holocauste Nucléaire. Une tension quotidienne parfaitement soulignée par les images diffusées et par leur articulation, très cut.

Parmi les fragments de programmes détournés nous faisons donc la rencontre de personnages que toute une génération d’américains ont fréquenté durant leur jeunesse : Speed Crazy et son personnage central Nick Barrow, Earth Vs. Flying Saucers en tant que débuts de la science-fiction américaine, ou encore Beginning Of The End de Bert I. Gordon, et son attaque de sauterelle géante sur Chicago. Il est par ailleurs intéressant de noter que nombre de ces extraits semblent témoigner des influences choisies par Dante pour ses films plus récents. Panique Sur Florida Beach (1993) rend hommage à ces films avec le personnage de Lawrence Woolsey, réalisateur de films à sensations organisant la projection de son « Mant ! » dans lequel la sauterelle est remplacée par une fourmi « nucléaire ».

La politique est également évoquée par les extraits choisis pour créer ce panorama sur l’Histoire américaine. The Movie Orgy est donc saupoudré d’interventions télévisées de Nixon, ou encore de messages publicitaires ventant les mérites d’armes ou de munitions, en faisant usage de slogan comme « Combien de temps faut-il à une balle pour tuer un rouge (un communiste) ? ». 

Le caractère unique et évènementiel de cette projection, réel coup de maître de la part de l’organisation du Festival International du Film d’Amiens, nous vient du fait que ce film ne peut théoriquement pas être exploité commercialement. Cette projection fut donc la première et sans doute la dernière sur le territoire français. La législation impose que ce film se fasse discret, elle empêche l’exploitation de ces images, dont les propriétaires n’ont jamais donné d’accord à Joe Dante pour leur diffusion. Déplorable vous direz-nous. Prions pour que les disques ayant servi au Festival se soient perdus quelque part, au choix, dans un graveur. Car c’est un film qui révèle beaucoup sur la complexité du fonctionnement de la propagande, du commerce, de la diplomatie, de l’électoralisme et surtout, du cinéma.

Projection en présence de Joe Dante au Ciné St Leu, le 17 Novembre 2011 à l'occasion du 31è Festival International du Film d'Amiens. Article initialement publié au sein de la revue étudiante "La Fée Verte - Gazette des étudiants en Arts de l'UFR des Arts d'Amiens N°1 (Mars 2013)" PDF

VinzA : Démonter la réalité pour mieux la recréer

Vincent Ansieau, un nom qui peut-être ne dit rien a personne, et pourtant, machiniste pour Guillaume Canet, pour Kaamelot, pour le premier film tiré de Caméra Café... Régisseur sur le tournage de 99 Frs de Jan Kounen. La liste de ses collaborations est longue et impressionnante, Machiniste au Grand journal ou monteur pour le compte de la promotion de la Playstation 3. Et en bon professionnel qu'il est, il exerce une passion qu'il partage. Sur le web, il est l'auteur d'une série de détournements signés VinzA. Dans ses vidéos, il utilise les images de longs métrages comme Bienvenue Chez Les Ch'tis, Rien à déclarer, Les Choristes ou encore 300. ll dérushe pour recréer ses propres bandes-annonces avec de nouvelles musiques, donnant naissance a de nouvelles trames narratives et de nouvelles ambiances.


Les films de Dany Boon deviennent des polars sanglants, et au pensionnat plus de chant, seulement quelques gamins dérangés qui font fuir les enseignants. Quant aux guerriers virils de la Grèce
antique, les voilà qui n'ont plus du tout envie de faire la guerre, mais bien l'amour. Ce talent pour une sorte d'écriture dans Ie montage. il l'exerce également sur les politiques. Avec l'ancien président. il avait publié VinzA démonte Sarko (pour mieux le remonter). Premier épisode de quelques détournements avant de s'attaquer et Francois Hollande. Dans les deux cas, l'exercice de montage donne un côté anonyme 3 la démarche puisque seule la musique est ajoutée, le reste est fait de perfection du cut à l'image mais aussi au son. Ce réalisme dans la maîtrise fait parler littéralement de nouvelles personnalités qui sont comme filtrées par ce montage précis et par l'humour subtil de VinzA.

Le résultat est tout a fait exemplaire de l'importance d'un montage et peut typiquement illustrer une démarche pédagogique sur la puissance de son pouvoir de subversion. Sarkozy évoquant une nuit
difficile avec Michèle Alliot Marie, disant qu'on s’est trop préoccupés des Français ou que sa propre femme est sotte... François Hollande bafouillant dans toutes les versions de VinzA avec un incroyable acharnement qui malgré tout parait naturel et pousse au fou rire immédiat. Le génie des plans de coupe, avec ce dérushage précis, quand les journalistes écoutent une réponse en se lançant des regards moqueurs qui n'existaient pas initialement. Qui coupent la parole au président en lui disant de faire mieux ou qu’il n’est pas convainquant, «qu'il va falloir beaucoup de talent». Sur ses bandes-annonces comme sur ses détournements, VinzA remonte avec une démarche qui crée des parodies et des caricatures, il évite donc une prise de position partisane, il s'agit avant tout de faire rire et de partager un talent de montage hautement pédagogique. Une découverte a faire pour en prendre plein les mirettes, découvrir |’intérét d'une bonne bande-annonce ou |'importance d'un montage de qualité, ou pour se marrer tout simplement. Si vous ne riez pas je vous rembourse votre gazette.

Article initialement publié au sein de la revue étudiante "La Fée Verte - Gazette des étudiants en Arts de l'UFR des Arts d'Amiens N°2 (Avril 2013)" PDF

Badlands de Terrence Malick : génèse d'un monument du nouvel hollywood

MALICK L’INSAISISSABLE

Terrence Malick est aujourd’hui considéré comme un très grand du cinéma ; comparé parfois à Stanley Kubrick pour son extrême discrétion médiatique, et même le mystère qui entoure sa biographie. Sa filmographie est particulièrement remarquée également car très courte malgré une carrière de réalisateur s’étirant sur 43 ans : un court et cinq longs-métrages.

Son lieu de naissance n’est par exemple pas connu publiquement, on parle d’une enfance dans l’Illinois ou dans le Texas, deux états éloignés l’un de l’autre, mais qui ont en commun des paysages faits de champs de blé et de puits de pétrole, de grandes villes entourées de bourgades peuplées d’agriculteurs. Il se dirige d’abord vers de hautes études de philosophie, passant par Harvard et Oxford. Il enseigne une année au MIT puis, découvrant qu’il n’a pas la fibre pédagogique, songe à s’orienter vers de nouvelles études.      

Au moment où il écrit les premières lignes du scénario de La Balade Sauvage, il est alors étudiant à l’American Film Institute où il  réalise son tout premier film, un court-métrage « Lanton Mills » et obtient ensuite un Master Of Fine Arts (sorte de maîtrise d’Arts mais dont la particularité est qu’elle se focalise sur une pratique en particulier, là où la Maîtrise/Master Of Arts, s’attache à un ensemble d’Arts, d’un point de vue plus théorique).

Ses études terminées, il trouve un emploi aux studios Warner où il est chargé de réécrire des moutures de scénarios ou de participer à l’élaboration de premiers jets ; il travaille sur l’écriture du premier long-métrage réalisé par Jack Nicholson, Drive, He Said et est entre autre à l’origine d’une des premières versions de L’Inspecteur Harry. A ce moment là, L’Inspecteur Harry doit être interprété par Marlon Brando sous la direction de Irvin Kershner.

Mais la Warner décide de changer ses plans, se sépare de toute une équipe, et finalement ce sont Clint Eastwood dans le rôle principal et Don Siegel à la réalisation qui héritent de ce projet, concrétisé par une sortie en 1971. Finalement, Terrence Malick n’est même pas crédité au générique.

Il perd donc sa place à la Warner mais continue à écrire. Il propose un scénario, Deadhead Miles à Paramount Pictures qui le refuse, estimant que personne ne parviendrait à le réaliser. Il se décide donc à réaliser lui-même un film qu’il aurait écrit, tout en se passant des grands studios hollywoodiens : ce sera Badlands.


LE PRETEXTE DU FAIT DIVERS

Badlands s’inspire de faits réels. Martin Sheen campe le rôle de Kit Carruthers. En réalité ce personnage est ouvertement inspiré de Charles Starkweather, un jeune homme de 19 ans qui entre Novembre 1957 et Janvier 1958 tue 11 personnes lors d’une cavale débutant par le meurtre du père de sa petite amie, Caril Ann Fugate, Holly dans le film, qui n’a alors que 14 ans et qui le suit dans cette virée meurtrière. Du Nebraska au Wyoming, Starkweather tue froidement, Fugate de son côté ne fait qu’observer.

Martin Sheen et Sissy Spacek interprètent ce couple pour Malick en suivant précisément les indications existantes sur le comportement de ces personnes. Kit est donc un jeune homme qu’on pourrait décrire comme un rebelle-sans-cause, un solitaire, d’apparence il est tout à fait non-violent. Il voue  une admiration pour James Dean et imite le comportement du célèbre acteur, s’habille comme lui ; Martin Sheen reproduit donc de nombreuses mimiques de Dean. Il est intéressant de voir que le criminel qui inspire le film modelait sa personnalité en fonction de celle d’un acteur emblématique, symbole d’une jeunesse en plein désarroi dans les années 50.

Sissy Spacek pour sa part joue Holly, une jeune fille que rien ne semble atteindre ; elle ne réagit pas à la violence des évènements auxquels elle assiste, les multiples meurtres dont celui de son père, préférant s’attarder sur la beauté des paysages qu’elle découvre avec Kit, poser des question sur ce que mangent les araignées à un homme qui meure lentement devant elle. Même sa découverte de la sexualité semble incroyablement banale à ses yeux, ni réjouissante, ni détestable. La voix de Holly fait office de voix-off durant le film, et ce sont ses propres mots qui la définissent le mieux : « Je n’éprouvais ni honte ni crainte, j’étais hébétée. Comme assise dans une baignoire déjà vidée ».

Néanmoins Malick prend quelques libertés. Il change le périple de ces deux personnes qui parties du Nebraska ont été arrêtées dans le Wyoming voisin, et préfère que ses personnages partent du Sud-Dakota en direction du Montana où Kit se laisse capturer. En réalité, le film est tourné intégralement dans le Colorado.
Si les faits qui ont inspiré le scénario de Badlands se sont déroulés en 1957-1958, Malick précise en interview qu’il « voulait un minimum de cohérence avec les années 50 » mais qu’il espérait créer un film « hors du temps ».

En réalité il évacue le contexte politique et social de la jeunesse américaine des années 50 pour se concentrer sur une idée plus générale de rejet du progrès, de la modernité et en quelque sorte de la société dans son ensemble, présentée ici comme une sorte de grand obstacle à la liberté individuelle. Il participe lui aussi à la construction d’un mouvement  cinématographique en reprenant le schéma du Road-Movie, et il façonne lui aussi le Nouvel Hollywood en choisissant de concrétiser son film par le biais d’une production indépendante des Majors qu’il connait bien. Mais il marque une certaine distance avec l’esprit contestataire peut-être trop terre à terre des cinéastes de son temps qui bâtissent eux aussi le nouvel Hollywood, avec des films sans doute plus mouvementés, plus « frappants », peut-être moins littéraires. Malick créé un cinéma très spirituel.

Comme le dit Julia Allouache pour le site Critikat.com « La singularité de la démarche malickienne est de faire de ce fait-divers une ode à l'innocence plutôt qu'un trip sulfureux. »

Romain Genissel explique dans ces mêmes pages que « les films de Malick stigmatisent des moments emblématiques où l’homme s’est détourné du bien que peut représenter une vie en accord avec la nature et s’est vu transformé cette dernière en l’objet de ses désirs individuels et matériels. »

Ce n’est pas un combat contre un état ou une politique en particulier, les crimes et le fait divers originels ne constituent que des prétextes : ils permettent de justifier le voyage, la recherche d’un monde vierge de toute présence humaine et au sens même du récit : Kit tue pour se défendre, empêcher la police de lui mettre le grappin dessus, il ne tue jamais vraiment gratuitement, même s’il tue de façon très froide. Chez lui comme chez Holly, cela n’entraîne pas de grand bouleversement.

La vie continue. Kit use de son arme comme d’une baguette magique qui ferait disparaître les problèmes, il n’a pas conscience de la violence de ses actes, Holly ne semble pas très au point non plus, en cela, le spectateur n’émet pas de jugement arrêté sur le comportement de ce couple qui sans éprouver de remords ne manifeste pas non plus la moindre satisfaction après un meurtre.

Après avoir tué quelqu’un, Kit s’empresse de faire mécaniquement ce qu’il faut pour effacer les traces et surtout reprendre la route. Il ne contemple pas la mort, il tue même plusieurs victimes qu’il enferme avant de tirer à l’aveugle. Un rapport très complexe aux animaux est également mis en place. Au moins un poisson jeté hors de son aquarium, une vache couchée sur le flan et deux chiens meurent dans La Balade Sauvage.

Holly semble plus touchée par la mort de son chien, provoquée par le père qui veut alors punir Holly, que par celle de son père lui-même. Kit lui semble intrigué par la vache morte qu’il piétine afin de l’observer de plus près…Holly s’en veut de jeter son poisson malade…ils ont un rapport très fort à la nature dans son ensemble, y compris avec les animaux qui les entourent, et que Terrence Malick prend un réel plaisir à filmer pour obtenir des plans de coupe quasi-écologistes.

La société humaine est pointée du doigt comme un obstacle permanent à la liberté individuelle. La nature et la recherche d’une sorte de jardin d’Eden constituent quant à elles un idéal vers lequel vont Kit et Holly. Il y a néanmoins une rupture entre les deux personnages pour conclure le récit de leur cavale, prisonniers de vices pour le coup bien ancrés dans la modernité et la société humaine : Kit veut devenir célèbre grâce à ses meurtres, aveuglé par son admiration pour James Dean, Holly de son côté regrette son ancienne vie alors qu'en virée elle « perçoit le monde par le prisme du National Geographic alors que les splendeurs l’environnent de toute part. » (Romain Genissel)


DU POINT DE VUE DE LA PRODUCTION ET DE LA TECHNIQUE

Sans passer par les Studios qui sans doute lui laissent un souvenir amer après son éviction de la Warner, et l’incompréhension de la Paramount, Malick créé Badlands Films afin de financer son projet en partenariat avec un ami, Edward Pressman qui de son côté monte Jill Jakes Films. Ils parviennent à réunir une somme de 350.000 dollars afin de produire le film, ce qui représente un budget minuscule, et ils montent une équipe d’une cinquantaine de personnes.

La totalité des prises de vue s’effectue en seulement seize jours, durant lesquels Malick est confronté à de multiples complications comme la destruction d’un parc de caméras lors du tournage d’une scène d’incendie. Le tournage se montre donc parfois chaotique mais contraste avec l’esprit des Studios qui cherchent à imposer des standards ; ils ont le pouvoir d’imposer un Final Cut, ils interviennent dans la fabrication du film, au risque de dénaturer ce que le scénario prévoyait.

C’est un héritage de l’éclosion du Hollywood des années 30 et l’après-guerre. Les studios américains imposent le Code Hays entre 1934 et 1966 et ils tentent d’exporter le plus de films possible en Europe à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. L’idée est de remplacer les cinémas nationaux européens, en partie décimés par la Guerre tout en imposant à l’international le cinéma Américain et les concepts de « rêve américain » ou « d’American Way of Life ». Appuyés par le département d’Etat et la Motion Picture Export Association, les studios favorisent un cinéma  de grand spectacle et cherchent à exporter la culture populaire américaine afin de ne pas laisser le champ libre aux idées communistes. Les Majors s’orientent vers un cinéma consensuel, populaire, sur commande.

Malick en tournant de manière indépendante, profite d’un tournage en pleine nature d’une part et sans entrave à son esprit créatif d’une autre, « pourvu qu’il y ait de l’air » comme dit Kit alors à la recherche d’un nouvel emploi. Nous avons compris dans l’évocation de sa biographie que Malick est doté d’une instruction très littéraire et philosophique. D’ailleurs il confirme lors d’une interview au Printemps 1975 que la critique lui attribue des liens avec d’autres films qu’il n’a même pas vus. Lui s’inspire de romans tels que Robinson ou Tom Sawyer, des romans qui présentent toujours un drame pesant sur un personnage qui n’y est pas directement impliqué, qui subit, tout comme Holly.

Cette façon de procéder permet à Malick de poser sa caméra et de tourner de façon sauvage. Martin Sheen confie en interview qu’il arrivait parfois au cinéaste de partir filmer les animaux environnant. Connu pour son amour des plans d’animaux et de nature, il incluait donc ces plans de coupe qui n’intégraient pas nécessairement le découpage et le scénario prévus. De même, il demande un soir à ses acteurs de s’amuser tout simplement, devant la caméra, sans autres instructions.

Tourner de façon sauvage, fournir un minimum d’indications à ses acteurs, choisir de conserver des prises d’eux qui n’étaient pas faites pour l’être et malgré tout s’inspirer d’écrits, voir de peinture avec l’œuvre de Thomas Cole ; pratiquer un cinéma singulier avec un esprit formaliste et tout à fait novateur, cohérent.

Etat critique : l'accueil injuste réservé à La Femme du Cinquième selon Pierre Murat

Selon Pierre Murat, rédacteur en chef des pages cinéma de Telerama et chroniqueur de l’émission Le Masque et la Plume, la critique souffre d’un mal curieux depuis quelques mois. Incurable ? Peut-être pas. En tous cas inquiétant sur le court terme. Avec des succès populaires indéniables tels Intouchables, Les Petits Mouchoirs ou encore Polisse, la critique semble unanime en permanence. Pour plébisciter ces « nouveaux standards » du cinéma français, la grande majorité des professionnels de la critique écrivent d’une seule et même encre, et d’un autre côté, cette même majorité se permet désormais de ne plus faire d’efforts, de ne plus avoir de vocation publique et culturelle.

Pierre Murat diagnostique une perte de curiosité de la part de ses confrères, ou en tous cas, se sert de l’accueil réservé à La Femme du cinquième de Pawel Pawlikowski pour pointer du doigt ce manque de diversité des opinions. Si le film de Pawlikowski aborde effectivement des thèmes psychologiquement complexes dans une forme de narration « hermétique » (séquences répétitives, petit nombre de lieux clos, flou très présent, violence) il n’en demeure pas moins une œuvre à part entière, qui témoigne comme promis par Pierre Murat d’une vision de cinéaste singulier. Attachés au scénario, à la psychologie du personnage, à des éléments d’importance mais circonscrits, les critiques qui ont longtemps été vus comme en décalage avec le public iraient désormais conforter le spectateur dans l’idée que le fond est primordial, oubliant la forme, ses codes, son impact sur l’œuvre.

De ce fait, Murat nous raconte que certains de ses confrères ont pu lui faire la réflexion que le personnage campé par Kristin Scott-Thomas ne tient pas la route, car elle serait morte à un moment, vivante lors d'une séquence suivante. On ne sait pas ce qu’elle est réellement, amante ou fantasme. S’appuyant sur les éléments de mise en scène parfois qualifiés « d’élitistes » il rappelle que ces fameux éléments sont constitutifs d’un film profondément fantastique, et que le rejet d’un personnage comme celui de Kristin Scott-Thomas sous prétexte d’un manque de consistance est une sorte de négation de tout un pan du cinéma fantastique qui se joue de codes visuels et narratifs pour donner naissance à une atmosphère épurée et dans le cas présent inquiétante. La figure du spectre traversant un grand nombre d'oeuvres filmiques, comme une mise en abîme du procédé cinématographique lui-même, immortalisant les êtres et leur présence.

La rencontre de Kristin Scott-Thomas et Ethan Hawke semble donc ne pas avoir séduit les professionnels de la presse spécialisée. Et si les spectateurs qui n’ont pas été touchés par ce film le disent avec une rare franchise, ils ne sont pas si nombreux pour autant. Dans un groupe d’une trentaine de spectateurs venus découvrir ce film et rencontrer Pierre Murat, un quart peut-être de ces personnes manifestent un mécontentement, un autre quart semblent témoigner un intérêt particulier pour le film, et les deux autres se composent de spectateurs qui probablement aimeraient le revoir avant de donner un avis tranché.

Murat lui-même n’hésitait pas à appeler les opinions, précisant qu’il estime ce nouveau cinéaste comme l’un des plus prometteurs, mais ne voulant surtout pas avoir l’air d’ignorer d’éventuels défauts : en particulier celui d’un manque d’accessibilité. Et l’idée de cet élitisme. Une notion rejetée par le critique, tout comme celle d’un public péjorativement « populaire », mais qu’il convient d’employer dans ce cas précis. Nombre d’entre nous ont relevé l’emballement médiatique suscité par les films français en 2011 en dépit de leurs défauts esthétiques ou narratifs. Il s’avère que ces films trouvaient leur valeur dans le caractère social de leurs thèmes, dans leur proximité avec le spectateur. Ce qui ne saurait être vu comme un défaut selon Murat mais néanmoins cela aurait provoqué un certain aveuglement de la critique, lasse d’être perçue comme injuste et elle-même élitiste, à la recherche elle aussi de sa propre proximité avec le lecteur.

Pour Pierre Murat selon qui la critique aurait donc perdu ce rôle « d’agitateur » culturel, la polémique aurait laissé place au consensus et pour embellir son image la profession prendrait un virage dangereux, courant derrière l’approbation des éventuels spectateurs au lieu de leur dire quels films courir voir, à l'appui de connaissances et de justifications. Gageons que la critique redeviendra instrument de découverte et non pas d’arbitrage, un risque existant dans un paysage « médiatico-culturel » étouffant.

Propos rapportés suite à un entretien le 21 Janvier 2012 au Ciné St Leu

Fritz Le Chat de Ralph Bakshi (1972)

 « We're not rated X for nothin',baby ! »

Fritz est fâché, outré, il ne supporte plus son train de vie monotone ainsi que celui de ses amis étudiants, perdus entre leurs montagnes de livres et leurs cures de vitamines. Depuis toujours, il rêve d'aventure et d'évasion, d'une vie de bohème, il aimerait parcourir le monde entier afin de voir toutes les choses qu'il a à offrir plutôt que de continuer à faire confiance aux intellectuels pour les comprendre. Ses recueils de sociologie, il les met au feu, ses études, il les abandonne et préfère devenir un électron libre, laissant le hasard et la flânerie le porter dans le New-York des années soixante-dix au gré de rencontres surprenantes.

Originalement, Fritz est le premier personnage de comics inventé par Robert Crumb, dessinateur à l'esprit subversif, à qui le Musée d'Art Moderne de Paris rendait hommage à travers une exposition de dessin l'an passé. Ralph Bakshi en fit cette adaptation cinéma afin de donner vie au matou anarchiste, et dans le même temps, au premier film d'animation classé X. Rien de surprenant puisque parmi les personnages du film, Fritz rencontre par exemple un corbeau du Bronx voleur de voiture, de nombreuses filles faciles, un lapin vivant dans le désert défoncé à l'héroïne, chevauchant sa Harley ornée d'une croix gammée... Ou bien encore, entre autres hippies fumeurs de crack et obsédés sexuels, il croise la route de deux cochons policiers extrêmement maladroits à tel point que l'un d'entre eux se retrouve le sexe à l'air à tirer sur des malfrats depuis l'intérieur d'une synagogue. En clair, Fritz Le Chat dépeint une société underground existante en profitant de l'anthropomorphisme pour caractériser chaque milieu avec fracas et distance. La dureté des constats se trouve amortie par l'aspect farfelu des personnages.

Si leurs traits restent caricaturaux, loin de toute réalité humaine, les décors s'inspirent de photographies réelles des rues de NYC, ils sont calqués sur une réalité visuelle. Ainsi le film place le spectateur, à l'époque, dans un cadre qui lui est familier et dont le rayonnement culturel ne cesse de prendre corps, avec par exemple la sortie du double album de John et Yoko «Some Time In New York City » la même année. Le film le présente bien entendu avec un regard beaucoup plus critique et heurte le monde du cinéma en faisant preuve d'une liberté de ton exceptionnelle, installant sur l'écran les tensions communautaires, les dérives d'une société, tout comme l'envie de se frotter à un pouvoir politique qui ne s'intéresse pas à la vie de son bon peuple regroupé en basse-cour.

Un film-ovni à voir en version originale absolument.

 

Article initialement publié au sein de la revue étudiante "La Fée Verte - Gazette des étudiants en Arts de l'UFR des Arts d'Amiens N°3 (Octobre 2013)" PDF