Selon Pierre Murat, rédacteur en chef des pages cinéma de Telerama et chroniqueur de l’émission Le Masque et la Plume,
la critique souffre d’un mal curieux depuis quelques mois. Incurable ?
Peut-être pas. En tous cas inquiétant sur le court terme. Avec des
succès populaires indéniables tels Intouchables, Les Petits Mouchoirs ou encore Polisse,
la critique semble unanime en permanence. Pour plébisciter ces
« nouveaux standards » du cinéma français, la grande majorité des
professionnels de la critique écrivent d’une seule et même encre, et
d’un autre côté, cette même majorité se permet désormais de ne plus
faire d’efforts, de ne plus avoir de vocation publique et culturelle.
Pierre Murat diagnostique une perte de curiosité de la part de ses confrères, ou en tous cas, se sert de l’accueil réservé à La Femme du cinquième
de Pawel Pawlikowski pour pointer du doigt ce manque de diversité des
opinions. Si le film de Pawlikowski aborde effectivement des thèmes
psychologiquement complexes dans une forme de narration « hermétique »
(séquences répétitives, petit nombre de lieux clos, flou très présent,
violence) il n’en demeure pas moins une œuvre à part entière, qui
témoigne comme promis par Pierre Murat d’une vision de cinéaste
singulier. Attachés au scénario, à la psychologie du personnage, à des
éléments d’importance mais circonscrits, les critiques qui ont longtemps
été vus comme en décalage avec le public iraient désormais conforter le
spectateur dans l’idée que le fond est primordial, oubliant la forme,
ses codes, son impact sur l’œuvre.
De ce fait, Murat nous raconte que certains de ses confrères
ont pu lui faire la réflexion que le personnage campé par Kristin
Scott-Thomas ne tient pas la route, car elle serait morte à un moment, vivante lors d'une séquence suivante. On ne sait pas ce qu’elle est réellement,
amante ou fantasme. S’appuyant sur les éléments de mise en
scène parfois qualifiés « d’élitistes » il rappelle que ces fameux
éléments sont constitutifs d’un film profondément fantastique, et que le
rejet d’un personnage comme celui de Kristin Scott-Thomas sous prétexte
d’un manque de consistance est une sorte de négation de tout un pan du
cinéma fantastique qui se joue de codes visuels et narratifs pour donner
naissance à une atmosphère épurée et dans le cas présent inquiétante. La figure du spectre traversant un grand nombre d'oeuvres filmiques, comme une mise en abîme du procédé cinématographique lui-même, immortalisant les êtres et leur présence.
La rencontre de Kristin Scott-Thomas et Ethan Hawke semble donc
ne pas avoir séduit les professionnels de la presse spécialisée. Et si
les spectateurs qui n’ont pas été touchés par ce film le disent avec une
rare franchise, ils ne sont pas si nombreux pour autant. Dans un groupe
d’une trentaine de spectateurs venus découvrir ce film et rencontrer
Pierre Murat, un quart peut-être de ces personnes manifestent un
mécontentement, un autre quart semblent témoigner un intérêt particulier
pour le film, et les deux autres se composent de spectateurs qui
probablement aimeraient le revoir avant de donner un avis tranché.
Murat lui-même n’hésitait pas à appeler les opinions, précisant
qu’il estime ce nouveau cinéaste comme l’un des plus prometteurs, mais
ne voulant surtout pas avoir l’air d’ignorer d’éventuels défauts : en
particulier celui d’un manque d’accessibilité. Et l’idée de cet
élitisme. Une notion rejetée par le critique, tout comme celle
d’un public péjorativement « populaire », mais qu’il convient d’employer
dans ce cas précis. Nombre d’entre nous ont relevé l’emballement
médiatique suscité par les films français en 2011 en dépit de leurs
défauts esthétiques ou narratifs. Il s’avère que ces films trouvaient
leur valeur dans le caractère social de leurs thèmes, dans leur
proximité avec le spectateur. Ce qui ne saurait être vu comme un défaut
selon Murat mais néanmoins cela aurait provoqué un certain aveuglement de
la critique, lasse d’être perçue comme injuste et elle-même élitiste, à
la recherche elle aussi de sa propre proximité avec le lecteur.
Pour Pierre Murat selon qui la critique aurait donc perdu ce rôle
« d’agitateur » culturel, la polémique aurait laissé place au consensus
et pour embellir son image la profession prendrait un virage dangereux,
courant derrière l’approbation des éventuels spectateurs au lieu de leur
dire quels films courir voir, à l'appui de connaissances et de justifications. Gageons que la critique redeviendra
instrument de découverte et non pas d’arbitrage, un risque existant dans
un paysage « médiatico-culturel » étouffant.
Propos rapportés suite à un entretien le 21 Janvier 2012 au Ciné St Leu
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