Le théorème d'Omayra.

Nous évoquerons aujourd'hui un cas qui n'entre pas spécifiquement dans les catégories du "gore", "snuff", et du "graphic" sanglant. C'est déjà ça. Néanmoins la violence est d'un niveau particulièrement élevé. Il s'agit d'un road rage (pétage de plomb d'automobiliste si vous préférez) s'étant soldé par une bataille de flingues en pleine rue. 




Aux USA ces derniers jours deux automobilistes semblent s'être chauffés l'un et l'autre, aucune idée de ce qui peut bien les avoir mis dans cet état. Mais le propre du road rage, c'est d'être déraisonnable. La plupart des automobilistes connaissent ce sentiment d'énervement, d'agacement, face à une conduite dangereuse ou sans aucune courtoisie. Il pousse parfois à insulter le conducteur d'en face, en hurlant dans l'habitacle transformé en bulle de stress. Récemment j'ai moi-même failli emboutir un SUV de la marque au lion qui forçait l'entrée d'un rond-point. Le stress et la colère engendrés m'ont accompagné durant de longues, très longues minutes. Une fois à destination j'avais encore l'image du véhicule en tête et je tournais en rond, excité comme jaja, imaginant une autre version de notre continuum espace-temps, dans lequel je n'avais pas réussi à éviter cette collision. 

La voiture, ça rend les gens nerveux. Peut-être est-ce parce qu'ils savent pertinemment que cet engin très utile peut également donner la mort. 

Mais revenons à nos moutons. Après s'être échangé au moins une bonne quinzaine de coups de feu sur la voie publique, les deux automobilistes ont été relâchés directement sur place, sans être embarqués ou sanctionnés. Il me semble qu'ils ont été convoqués plus tard à un poste de police pour répondre de leurs actes, et que des poursuites ont donc ensuite été engagées. 

Un internaute a pu avoir accès aux images "dashcam" de l'un des conducteurs. Récupérées ensuite par Phillip Lewis, éditorialiste de première page du Huffington Post à Detroit, qui a jugé utile de les propulser sur Twitter. 

"Watch this". Regardez ça. C'est un impératif les gens. Ne passez pas à côté. Au moment où je découvre cette publication, comme vous pouvez le voir ci-dessus, en moins de 24h le nombre de visionnages est déjà de 769.000, quasi 770. Impressionnant non ?

Plus impressionnant encore, le temps de faire ma capture d'écran et de moi-même la publier en obsédé des publications violentes et virales que je suis, c'est à dire en moins de trois minutes, 10.000 vues de plus : 



De nouveau je capture, je m'apprête à publier mais je me dis, "Tiens, je vais voir si ça bouge encore, en l'espace d'une minute". 

Et force est de constater que ça bougeait vite : 4000 vues de plus en une minute. 



Je n'allais pour autant pas passer ma soirée à recharger une page toutes les trois minutes pour surveiller un compteur, je ne suis pas encore dingue à ce point. Néanmoins je suis repassé sur ce post je dirais deux heures plus tard, et *gling gling gling* on tapait dans le million.



Et tout de suite, alors que je tape cet article, nous en sommes à 1,5 million de vues. 




Bien sur il y a un contexte à garder en tête : les USA qui sont un grand pays en nombre d'habitants représentent donc logiquement un nombre pas croyable d'internautes. Une vidéo qui tape dans les 1,5 million de vues en 24h, ce n'est pas en soi un événement. Ce qui m'interroge c'est l'utilité et l'impact d'une telle viralité. 

En France le cas le plus semblable récemment c'est sans doute l'agression de Yuriy, qui en une poignée de jours a culminé à 4,5 millions de vue. Rapporté au nombre d'habitants en France, C'EST  impressionnant. 



Maintenant, pourquoi suis-je si obsédé par ces phénomènes de viralité, spécifiquement sur les contenus violents ? Car j'aimerais savoir quel mécanisme et quelle justification mènent à un tel constat. La première explication qui me vient en tête, surtout dans le contexte américain, c'est la volonté de dénoncer les armes en quasi-totalement-libre circulation dans ce pays. Beaucoup de citoyens américains aimeraient que la législation change et que moins de leurs voisins puissent se promener une arme de poing ou une arme de guerre dans la boîte à gants ou dans le coffre. 

A l'appui d'images saisissantes du coup, ils tentent d'alerter, je suppose. En observant le comportement du conducteur ici à l'image, on observe qu'il est détendu, écoute de la musique, chantonne même à un moment il me semble, avant de pointer son arme vers l'autre véhicule et avant de faire feu, détruisant au passage ses propres vitres et pare-brise. 

La première chose qui vient en tête de certains spectateurs : ce type a un problème psychologique. Il ne semble pas en capacité de saisir la portée de son geste. Tellement détendu que les spectateurs pensent qu'il y prend plaisir. Par extension, les internautes soulignent donc que dans un pays où la santé mentale (comme ailleurs) est un problème de santé publique de premier ordre, conjuguer cela avec la libre circulation des armes donne naturellement naissance à des événements de cette sorte. 

L'explication militante, politisée, engagée, est donc sans doute à la source de ce partage. Et en soi je le répète il n'y a pas de gore sanglant à voir, ce qui est déjà bien en soi. Ce n'est pas le cas le plus édifiant concernant une culture snuff qui passerait du web spécialisé aux flux mainstream. 

Mais à mon sens toutefois nous sommes bien face à un contenu qui doit interroger, enfin, sur l'impact de ces images sur la jeunesse en particulier. Elle débarque dans un monde qui fait la publicité de la violence en permanence, qui au prétexte de la dénoncer l'expose partout et consolide une image du monde qui peut briser l'innocence des plus jeunes, les déprimer sans doute très fort, et peut-être aussi les convaincre que le monde est ainsi. Peuplé de gens fous, violents, que les politiciens n'entendent pas contrôler excessivement. En fait, c'est GTA IRL. 

Et encore une fois je me demande à quoi sert de voir de telles images, est-il vraiment nécessaire, indispensable, de VOIR POUR COMPRENDRE. La question est sans doute légitime. Car par le passé les USA ont été marqués par les fusillades et le seront sans doute encore demain. Les citoyens de ce pays ont vu d'innombrables gamins fuir leurs lycées, se tenant le bras ou la jambe, une traînée de sang derrière eux. 

Ils ont vu des jeunes devenir des militants, à la suite du meurtre d'un camarade ou d'un enseignant, s'opposer à la culture des armes à feu. Ils ont vu tellement de choses, d'ores et déjà. Et cela n'a pas changé grand chose. Alors, VOIR POUR COMPRENDRE. Est-ce vraiment efficace ? Question plus difficile encore : est-ce que comprendre permet forcément ensuite d'agir ? 

Question posée notamment par les cinéastes syriens il y a quelques années, dans une tribune en partie à l'origine de mon intérêt pour la question des images de violence réelle et de victimes perdant la vie sous l'oeil des caméras. Amers, ils demandaient que nous cessions nous autres occidentaux de filmer leurs morts ou de récupérer les images faites là-bas pour les surdiffuser ici, repassant en boucle, encore et encore, les moments fatidiques durant lesquels leurs propres frères perdaient la vie, massacrés par un régime ou par une haine fratricide que les politiciens du monde entier ne semblent pas réellement vouloir empêcher. 

Ils demandaient à ce que nous nous mobilisions, que nous prenions le sujet au sérieux et que nous devenions visibles dans les rues, nous les citoyens, pour dénoncer ces guerres et ces haines. Ils demandaient que nous agissions. OU BIEN, que ne cessions de regarder. "Ne regardez pas sans agir" était un peu le message. 

Sinon, à défaut, il s'agit d'une simple activité de spectateur qui cherche une catharsis. Quelle catharsis pourrions-nous trouver à travers le visionnage de scènes d'une violence particulièrement obscène ou choquante ? A mon avis, celle du citoyen conscient, au courant, et sensibilisé. 

J'ai vu un film sur le climat et la fin du monde : je deviens un militant écologiste. Mais vais-je agir au quotidien ? Pas sur. Vais-je dire à tout le monde que j'ai vu ce film, et dire à tout le monde de voir ce film ? C'est déjà plus probable. 

Alors face à la violence, aurions-nous le même réflexe ? WATCH THIS. Regardez ! Peut-être n'agirez vous pas ensuite. Peut-être froncerez-vous les sourcils, peut-être exprimerez vous votre dégoût dans un commentaire, perdu dans le flux, en fait éphémère. Prisonniers de l'immédiateté et de cette danse infinie. Je vois, je suis outré, je dénonce, je retourne mener ma vie. Jusqu'à la prochaine fois. 

Que se passe-t-il à l'échelle des individus que nous sommes ? Avec le temps et la multiplication des contenus violents que nous consommons (généralement sans l'avoir demandé/cherché), sommes-nous de moins en moins tranquilles face à l'état du monde ? Sommes-nous sur le chemin d'une révolte, d'une révolution pacifiste, d'une sorte d'éveil collectif ? Ou sommes-nous enfermés dans la banalisation du mal, nous habituons-nous en fait à cette réalité crue, sommes-nous plongés dans le constat-catharsis-résignation ? 

L'image est-elle vraiment utile ? Productive ? 
Ai-je tort de m'opposer à cette circulation effrénée de contenus violents ? 
Ai-je tort d'insinuer que voir et partager n'a rien d'une activité saine et politiquement responsable ? 
Car estimant que notre capacité à interroger les mauvais effets de la fiction s'évanouit lorsque nous consommons du snuff et du réel en pixels de sang ? 

Je travaille sur un théorème, je voudrais l'appeler Omayra. 
Nous verrons bien si "voir la mort en face" nous permet de mieux l'anticiper demain. 
Ou si la seule chose qui s'améliore, c'est le signal satellite. 



"Des images insoutenables, REGARDEZ"

 

Adolescent au début des années 2000, je me souviens que j'allais chez un voisin dont le père avait un ordinateur puissant et une connexion internet de qualité. En général, nous allions sur JeuxVideos.com lire les dernières nouveautés. Ce qui coïncidait bien avec notre quotidien de gamins de région parisienne, qui régulièrement s'enfuyaient pour aller oublier le reste du monde et claquer leur argent de poche à La Tête dans les Nuages.

Mais un jour, je me rappelle de ce copain m'expliquant avoir trouvé un truc dingue sur le web : Ogrish. Ce site hébergeait des tonnes de photos et de vidéos de « réalité crue », de violence réelle, morbide. Cadavres avant ou après autopsies, crânes ouverts et cerveaux répandus lors d'accidents de voiture, morceaux de corps sur les rails d'un suicide, grumeaux humains au bas d'un immeuble, carbonisations à coups de caténaires ou... auto-mutilations curieusement situées. Il y en avait pour tous les goûts.

Je me souviens du choc la première fois. Et de la sensation d'avoir trouvé l'interdit ultime : ce que personne n'a envie de voir. En théorie. Et je dis bien en théorie.



Après quelques années, Ogrish a partiellement fermé. Le site ne publiait plus rien de nouveau, en gros il maintenait ses archives et restait consultable, mais l'activité n'était plus maintenue à proprement parler. C'est alors que Best Gore a pris le relai. Ce site était encore un cran au-dessus car les photos étaient rares, le contenu de choix c'était la vidéo. 

Même ton, globalement, que sur Ogrish, mais avec beaucoup plus de contenus. Particulièrement de guerre ou produits par des narcotrafiquants. Sniper qui fait mouche, soldat qui se bute avec sa propre roquette, torture d'un membre de gang adverse (doigts coupés, balles dans chaque pied, mutilation sexuelle etc), films de Daesh ou encore... la vidéo de Luka Magnotta le dépeceur de Montréal.

J'ai vu sa vidéo. Le gars mutilait le corps de sa victime, le violait, puis coupait un morceau de fesse avec des couverts, histoire de le manger, normal, et avant de laisser son chien lécher le tronc, le sang, se nourrir à son tour. C'était quelque chose. Cet épisode là a valu énormément de problèmes à Best Gore et son créateur/propriétaire, Mark Marek. La justice s'est réveillée. Alors que depuis des années et des années le web grand public (pas le darkweb) regorgeait de violence morbide et de réalité crue, avec des milliers de victimes de crimes, assassinats, répressions politiques ou d'agressions d'ores et déjà exposées à la vue de tous.

Il a fallu un cas médiatisé à l'extrême pour qu'un débat au sujet de ce site prenne forme dans la discussion générale. Le propriétaire a reçu le soutien de sa communauté, mais la justice ne voulait pas lâcher l'affaire si facilement. Il y a un an ou deux, finalement, Best Gore a fermé. D'autres sites tiennent toujours et proposent ce même type de contenus, avec souvent un étrange mélange des genres, les vidéos de mort généralement juxtaposées à côté de publicité ou de contenus à caractère pornographique. Je ne nommerai pas ces sites.


 


Que pensez-vous de tout cela ? Êtes-vous révulsés ? Inquiets pour vos gosses ? Choqués qu'il soit si facile d'accéder aux images réelles de la mort réelle ? Soit. Voici mon problème.

Désormais ce sont les réseaux sociaux qui regorgent de ces contenus. Les sites réservés à cela, qui comme le porno réclament une audience 18+, et surtout qui représentent un pas à franchir, un clic à fournir, sont peu à peu remplacés par la vidéo en mode lecture automatique, publiée dans un feed anodin et grand public. Peut-être avez-vous déjà vu un contenu produit par Deash notamment, car certains relais de ce groupe terroriste partageaient massivement leur propagande sur les réseaux il y a quelques années.

Mais peut-être avec-vous vu autre chose ? Un manifestant propulsé dans les airs par une voiture qu'il tentait de stopper ? Des victimes de l'explosion de Beyrouth se vidant de leur sang, inanimées et au sol ? Une bodycam de policier ricain tuant un suspect, dont le regard se vide en regardant l'objectif ? Avez-vous vu ? Peut-être, peut-être pas.









Pour certaines personnes, diffuser des images d'une violence folle ne pose pas de problème s'il y a derrière une cause politique à souligner. De mon côté je trouve au contraire que c'est problématique aussi, et davantage à l'égard des adultes que des ados. Les adultes s'habituent à utiliser de tels contenus comme argumentaire politique. Et chercheront parfois à clore une discussion ou à gagner la joute en publiant de telles images, accompagnées de réflexions ou d'insultes façon :

"Et ça je l'invente connard ?!"


(2,5M de vues)




Sur Best Gore, les utilisateurs moquaient souvent ce qu'ils voyaient, la mort ou ses victimes. Désormais cela se produit également sur les réseaux grands public. 


(Gaspard Glanz m'a fort gavé ce jour là)


Ici un syndicat policier diffuse au grand public une vidéo disponible sur les sites gores.


Et Yuriy ? Avez-vous vu son agression ? Des millions de gens l'ont vue. Les médias ont rediffusé les images de surveillance, les réseaux se sont chargés des répliques. Les violences entre Palestiniens et Israéliens, avez-vous vu ? Un Israélien qui fonce avec sa voiture contre un Palestinien insurgé et l'écrase contre un mur. Vu ? Celui qu'une pelleteuse écrabouille, car potentiellement, il est porteur d'un engin explosif. Vu ? J'ai vu toutes ces choses, sans l'avoir réclamé.


(4,5M de vues)


Et je vous raconte pas la vidéo visiblement russe de types en combinaisons qui massacrent des cadavres, sans doute pour prélever des organes, dans une morgue clandestine. Je l'ai vue en début d'année dernière celle-là je crois, sur Twitter aussi. C'était assez ouf.

Sur nos réseaux, il y a des gosses, des gens qui ont vécu des traumatismes, ou qui simplement sont révulsés par la violence, la vue du sang. Et qui sans doute aimeraient se construire une image moins déprimante et une philosophie moins nihiliste, face aux réalités de notre monde. Leur laisse-t-on le choix ? Ils n'ont plus à faire d'effort et à se rendre sur des sites dédiés à tout cela, il leur suffit de parcourir leurs réseaux sociaux favoris. Tôt ou tard, ils tomberont sur un contenu horrible mais viral.

Et désormais, même les ministres ou les politiciens partagent la violence. Marine Le Pen avait partagé une décapitation si je me souviens bien. Aujourd'hui même, la mort de Cédric Chouviat, déjà vue et revue, et revue encore, doit être revue un petit coup de plus. Le manque de réponse de l'état, les manipulations de syndicats policiers, le refus de laisser dire qu'un flic PEUT faire mal, tout cela pousse des gens à nous mettre sous nos yeux à tous la réalité d'une situation qui n'est pas reconnue officiellement.

Montrer/faire voir la réalité de certaines situations est un enjeu pour beaucoup de gens, et il est compréhensible. Mais pas de filtre. Non. Une vidéo en lecture automatique, fournie par Libération, partagée par exemple par Manon Aubry. Et comme toujours dans la publication « ces images sont insoutenables ». On aime bien dire que des images sont insoutenables, horribles, qu'elles rendent malade, juste avant de les soumettre à l'entourage virtuel et sans sommation.





Je vomis ce phénomène, et l'absence de débat, de dénonciation à son sujet. Les dangers d'internet ? Le harcèlement, le doxxing. Voilà tout. Concernant le jeu vidéo, le cinéma ou la musique, nos dirigeants et nos grands esprits savent provoquer du remous et accuser nos supports de fiction d'être des facilitateurs de criminalité et de violence. Mais concernant le web, tabou les copains.

Au sujet de la pornographie et de tout ce qui se rapporte au sexe, on aime bien avoir quelques débats. Concernant la violence, on n'en parle pas. 

Pourtant posons la question : des gamins qui découvrent sur des réseaux grand public des scènes de violence inouïes, et qui de plus entendent un discours sécuritaire dans le genre « Les agressions se multiplient, on n'est plus en sécurité nulle part, la société est de plus en plus violente ». Quelle image du monde peuvent-ils constituer dans leurs esprits ? Comment y réagissent-ils par la suite ? Comment la disparition progressive et qu'on croirait programmée de l'innocence et de la naïveté conditionne de nouvelles générations ? Hmm ? Montrer la violence crue, gore, sanglante, la haine, le racisme, le viol, la répression etc et en faire une réalité envahissante, est-ce moins dangereux que de laisser un ado jouer à GTA ?


Petit Frère, IAM :

« Les journalistes font des modes, la violence à l'école existait déjà
De mon temps, les rackets, les bastons, les dégâts
Les coups de batte dans les pare-brise des tires des instituteurs
Embrouilles à coups de cutter
Mais en parler au journal tous les soirs ça devient banal
Ça s'imprime dans la rétine comme situation normale
Et si petit frère veut faire parler de lui
Il réitère ce qu'il a vu avant huit heures et demie »

La fiction est-elle encore responsable de quoi que ce soit de nos jours ? Peut-on encore sincèrement se focaliser sur elle en oubliant tout le reste ? Finira-t-on enfin par pointer la responsabilité des médias qui ont généralisé le fait de consommer de la violence ?

Akhenaton ajoutait : « Et je ne crois pas que petit frère soit pire qu'avant, juste surexposé à la pub, aux actes violents ». Et bien moi j'ose le dire, petit frère est pire qu'avant, sera pire que maintenant, si rien ne change quant à l'image du monde qu'on lui insère dans la rétine, en oubliant de contrôler quels contenus sont diffusés sur les supports les moins propices à leur visionnage.

Je ne sais pas quoi dire ou faire pour alerter autour de moi, faire entendre cette inquiétude qui me semble « civilisationnelle » comme diraient certains. Car ceux qui dénoncent la violence qui se produit dans le réel, la nourrissent souvent, selon moi, en exposant à tous les images qu'on en a tirées. Un cercle vicieux. D'une part, le fait de surexposer comme par réflexe les images violentes que nous trouvons démontre qu'il est aisé de goûter au "buzz" en en produisant. Vous souvenez-vous du jeune qui éclatait un chaton contre un mur ? En tous cas sa vidéo a cartonné. Mais de plus, en installant un tel mécanisme, on banalise vraiment la violence, on l'affiche partout. Bien sur elle existe et il n'est pas question de la nier, mais en quoi est-ce nécessaire de l'exposer partout ? Pourquoi semble-t-il si important aux yeux de certains de pouvoir interrompre la journée de quelqu'un, son "surf" sur internet, en lui mettant de la violence sous les yeux ? 

Autre question ; lorsque des internautes partagent sur Twitter la vidéo d'une femme qui frappe son enfant en Colombie, qui lui met des coups de pieds et de poings dans le ventre, et lui écrase la tête avec son pied une fois qu'il est au sol, qu'espèrent-ils ? Que nous la reconnaîtrons ? Cette voisine qui ne se situe qu'à quelques milliers de kilomètres ? Que nous avertirons la police ? Et puis, le gamin tabassé, a-t-on l'assurance qu'il est toujours en vie ? Parfois il est bien difficile de comprendre quelle pourrait être l'utilité, tout simplement, d'une telle diffusion et du visionnage associé.

Qu'il était bon, en réalité, le temps d'Ogrish, et celui de Best Gore. Il produisait un sentiment d'interdit, de passage derrière le rideau, de coulisses du monde, de réalité qui ne se découvre qu'au prix d'une volonté de la découvrir. Désormais, la violence est à la télé, à la radio, sur internet, chaque jour une saloperie morbide horrifiante à consommer. Si GTA 6 sort un jour, et s'il reste dans l'esprit des opus précédents, irrévérencieux, un môme quelque part fera bien une saloperie que médias et politiciens voudront assimiler au jeu vidéo. Personne n'ira demander ce qu'il pensait du monde réel et s'il avait nourri sa vision du monde réel, à partir d'images du monde réel.

On trouvera toujours moyen de construire un récit dans lequel la fiction elle-même est coupable, tout en refusant paradoxalement de questionner ce qui relève du réel, et de nos pratiques en terme de captation/diffusion de ce réel. A terme, j'en suis convaincu, la violence n'aura fait que gagner du chemin, être « banalisée » par celles et ceux qui disent la trouver aberrante.

Je hais cela. Et j'ai souvent besoin de le dire.

Bon, je dois aller lire mes mails. En quoi le fait d'aller ouvrir ma boîte mail pourrait jouer sur ma vision du monde et m'en dégoûter ? Je vous le demande.