[LIVE] : Transfovista, le DVD live d'Envy

Envy, c'est une perle de la musique contemporaine. Un miracle de mutation. Partis d'un son très orienté punk-rock au début des années 90, ils sont devenus l'un des groupes de screamo les plus importants des années 2000. A force de perfectionnement, la pure colère a laissé place à l'introspection et la plénitude, pour un post-rock des plus fins. A tel point qu'aujourd'hui, le hurleur impressionnant que fut Tetsuya Fukagawa est désormais le chanteur du groupe Mono le temps de quatre concerts, et sans doute pour une partie de leur double-album qui sortira bientôt "The Last Dawn" & "Rays Of Darkness". Il y a quelques années, il apparut également sur le morceau "I Chose Horses" du fameux groupe écossais Mogwai. 


La discographie d'Envy est donc riche en atmosphères avec ses premières livraisons extrêmement brutales et ses derniers bijoux aériens saupoudrés de spoken words. La seule constante : une émotion puissamment cathartique, une maîtrise insolente des contrastes entre les calmes et les tempêtes. Au coeur de cette discographie, deux albums me paraissent être les meilleurs condensés d'Envy. All The Footprints You've Ever Left And The Fear Expecting Ahead, et A Dead Sinking Story. Je ne peux que vous inciter à les écouter (en cliquant sur les liens!). Transfovista permet de constater le chemin parcouru durant quinze ans, à l'appui d'images parfois issues de lives télévisés, ou parfois filmées au camescope lors de leurs premiers passages en France ou en Allemagne. L'engagement émotionnel des musiciens est également palpable, notamment lorsque l'un des guitaristes ne peut se retenir de faire tomber l'ampli sur lequel il joue en l'écrasant avec sa guitare à la fin de son set. Sur l'image suivante, le musicien qui le lui a prêté demande quelques explications. D'autres séquences soulignent la réceptivité du public. On voit par exemple cette jeune femme, veste sur l'épaule, en sueur et en soutient-gorge, totalement absorbée par la musique. Fukagawa hurle, s'égosille, danse autour de son micro, il titube en face d'une spectatrice passionnée (et passablement éméchée) qui en renverse sa bière au coup par coup, digne d'une parodie.

Envy - Transfovista (Sonzai Records)


  
Pourquoi le hurlement ?

Envy est un groupe originaire de Tokyo, et leur chanteur s'exprime donc en japonais. Ce groupe s'exportant de mieux en mieux, il n'oublie pas de fournir les traductions anglaises de leurs textes au sein des livrets de leurs albums. L'écriture de Tetsuya Fukagawa est semblable à celle de haïkus, les phrases d'apparence déconnectées se succédant pour décrire au mieux l'indicible. Le sentiment, l'instant, la nostalgie, la folie ou le calme ; à coup sur la vitalité. Mais à mon sens la langue japonaise et le fait même de ne pas "vouloir" comprendre permettent de renforcer cet aspect cathartique, car il est aisé de projeter sur les articulations du hurleur nos propres interprétations, nos propres pensées. (J'en ai même fait une farce). 

Et c'est une chose que j'aime souligner à propos de la violence. Pour beaucoup de gens qui m'en ont fait part, le metal et ses dérivés sont insupportables à cause d'une violence trop désagréable et de plus "On ne comprend rien à ce qu'il dit, il n'arrête pas de gueuler !". Mais il est bien dommage de ne se fier qu'à ses oreilles. Tout comme en peinture ou en théâtre vous iriez peut-être tolérer une composition hideuse au service d'un propos, ou une pièce de théâtre contemporain exprimant toute la folie de l'Homme, il est nécessaire de se poser la question des choix scéniques comme vocaux qui amènent certains interprètes à hurler. Envy tombe bien. Ce que dit Fukagawa, pour mieux comprendre cette problématique, disons qu'on s'en fiche. Plaquez sur ses hurlements vos sentiments du jour. Si la journée a été bonne, que tout va bien, et que c'est réjouissant, imaginez qu'il partage avec vous ce sentiment et le crie à la face du monde. Imaginez qu'il est amoureux. Personne ne doit s'entendre plus que lui. A l'inverse, si vous êtes au fond du trou, dépité, seul au monde, sa voix sera celle d'un homme face à la mer, jouant à faire plus de bruit que la fatalité elle-même. Imaginez qu'il appelle un disparu.

Dans certaines situations, on comprendra le refus d'en entendre plus. Si vous n'êtes pas tombé sur des artistes assez complexes, que vos amis vous ont amené au concert du coin durant lequel la sono était de piètre qualité, que tout le monde était plus à son aise que vous, ou simplement que vous étiez à un mauvais concert, ne vous faites pas une idée définitive de ces groupes dans lesquels ça hurle. Ils ne sont pas tous du même acabit, et la différence entre ce qu'offre un concert et ce qu'offre un album sorti d'un studio peut être gigantesque. Ne dites pas "Je n'aime pas quand ça gueule" simplement parce que ça gueule. Parfois, les interprètes de ces groupes disent des choses, dressent des constats, partagent des sentiments qui ne s'expriment pas dans la retenue. Et à de très rares occasions, les hurlements se trouvent pris dans un ensemble cohérent qui n'est pas adressé aux seuls amateurs d'un genre musical en particulier. A trois reprises j'ai eu le privilège de voir ce groupe se produire sur scène. A chaque fois sans nul doute, j'en ai difficilement retenu mes larmes, absorbé par la puissance et la beauté de cette musique. Ce n'est pas sa violence intrinsèque qui me touche, mais l'humanité profonde qui se dégage de ces arrangements, cet écho universel. La musique se vend, se consomme, mais elle s'étudie aussi. La musique fait partie des arts.

Voici donc ma suggestion du jour afin de vous inciter à laisser une chance aux cris. Ceux de Tetsuya Fukagawa, magnifiquement accompagnés par un groupe d'une finesse unique, vous donneront un accès direct à vos tripes. Une personne qui n'aime pas du tout la musique metal/hardcore/post-hardcore à cause de cet à priori sur les cris m'a dit à l'écoute des deux albums phares cités plus haut : "La vache...C'est prenant, c'est même touchant, on dirait vraiment qu'il souffre ce mec, j'ai mal pour lui". A cet instant, j'étais heureux d'avoir glissé la galette dans l'auto-radio, et nous avons tout écouté en silence, poussés à l'introspection et ce malgré la barrière de la langue.


L'exemple en français : Daitro

"Nous sommes d'ici" de Daitro, groupe français de post-hardcore/screamo ainsi que les paroles afin de mieux comprendre en quoi les cris sont justifiés (excellent groupe à découvrir également)


S'empiffrer de carcasses encrassées dans nos palabres la messe est dite 
Car nous sommes de ceux qui décident et de ceux qui dictent.
Nous sommes d'ici et tous réunis dans la grande messe de l'horreur moderne, 
Venus pour tout avaler et pour ne rien laisser.
Quitte à tout prendre, autant s'en empiffrer les premiers.
Blessés, touchés, poussés par l'ampleur 
De ceux qui décident et de ceux qui dictent, il y a de quoi admirer.
Nous sommes si fiers de nous, nous sommes des leur(re)s.


Les voici jouant ce morceau...au Japon !

+ Envy : A Breath Clad in Happiness de l'album Recitation 

(Les paroles en anglais sont dans la description de la vidéo)

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