[Traduction] Les enfants de Jesus Camp, 10 ans plus tard.



Les enfants de Jesus Camp, 10 ans plus tard.
Traduction d'un article de Josiah Hesse disponible sur theguardian.com 



A 10 ans, le petit Andrew Sommerkamp avec sa mine timide et ses cheveux blonds flottant dans l'air monte sur la scène du camp biblique "Kids On Fire" et explique nerveusement à la foule qu'il a parfois du mal avec sa propre croyance en Dieu. Il a passé des jours à voir ses petits camarades du camp pleurer de façon incontrôlée, se repentir et implorer la miséricorde du Seigneur, et il a une confession à partager. 

"J'aimerais simplement parler de foi en Dieu... J'ai parfois eu du mal à faire avec" dit-il, en fixant le sol, effrayé et surpris de voir les autres enfants se regarder entre eux avec anxiété. "Croire en Dieu c'est difficile car on ne peut pas le voir, on ne le connait pas tellement. Parfois je ne crois pas en ce que dit la Bible. Cela fait de moi un imposteur et je me sens coupable et mauvais."  

C'est l'une des nombreuses scènes touchantes de ce documentaire de 2006, Jesus Camp. A travers son existence célébrée ainsi que contestée, Jesus Camp est devenu le test de Rorschach à l'attention des publics : certains évangélistes le voient comme une juste représentation de leur culture tandis que des séculiers et des publics plutôt de droite voient la mise en lumière d'une force maléfique d'endoctrinement, dénonçant la colère aux lèvres : "Maltraitance!" (Child abuse!)

10 ans plus tard, Sommerkamp (oui, c'est son vrai nom) a abandonné le christianisme évangéliste et vit désormais retiré auprès d'autres spirituels au Mont Shasta en Californie. Il a définitivement rompu avec le monde évangéliste lorsque son père est devenu gay. Il dit qu'il a passé plusieurs années à en vouloir à l'église, mais qu'il a depuis découvert la paix dans le mysticisme occidental, la mécanique quantique et les drogues psychotropes.

"Était-ce de la maltraitance ? Oui et non" a-t-il déclaré dans une récente interview à propos de ce moment passé au "Kids On Fire". "Je pense qu'ils avaient les meilleures intentions, mais je les vois comme des gens malades qui tentent de traiter d'autres gens malades. C'est leur propre mécanisme afin de chercher un sens au fait d'être en vie. Je n'échangerais cette expérience contre rien au monde néanmoins, car cela m'a permis de questionner ma propre existence à un très jeune âge."

"J'ai la paix de l'esprit." 

Levi O'Brien avait 12 ans lorsqu'il est apparu dans Jesus Camp avec son énorme queue de rat, ses t-shirts bien trop grands et son comportement inhabituellement confiant. Contrairement à Sommerkamp, O'Brien était largement enthousiaste quant à sa propre foi, pouvant expliquer avec passion comment sa vie fut transformée par Dieu. C'est une intensité qui le traverse encore aujourd'hui et qu'il utilise pour son travail en tant que membre du staff de World Revival Ministries. 

Il dit que les gens sont parfois choqués qu'il soit devenu un jeune homme heureux en bonne santé et qui n'a pas été traumatisé par ses expériences au Jesus Camp. "Des centaines de fois des gens du monde entier m'ont demandé "Penses-tu être comme tu es à cause de la façon dont on t'a élevé ?" dit-il. "Comme tout le monde non ? Et regardons où j'en suis : j'ai la paix de l'esprit, je me contrôle, j'ai un but et du caractère."

Selon la psychologue pour enfants Valerie Tarico, beaucoup d'enfants élevés à la mode évangéliste ne s'en sortent pas si bien. 

"Un des problèmes avec le savoir basé sur la foi est qu'il apprend aux enfants à ne pas faire confiance à leur propre raisonnement et leur intuition, ce qui déconstruit leur habilité à avoir confiance en leur propre savoir ou leur capacité à traiter des informations. De nombreux dégâts psychologiques peuvent survenir lorsqu'on entraine des individus à ne pas se faire confiance." 

Pour beaucoup de spectateurs, Jesus Camp fut leur première rencontre avec un service religieux Pentecotiste, où les pleurs, les cris, les danses et les langues étranges ou les convulsions sont aussi rituelles que l'encens dans une cérémonie catholique. La co-réalisatrice du film Heidi Erwing a dit qu'elle désapprouvait les enseignements du camp, mais qu'elle n'avait pas vu les dirigeants de ce camp comme des tortionnaires. 

"Ils ne font rien d'illégal, et si vous voulez élever vos enfants de sorte qu'ils soient floués à propos de l'environnement ou qu'ils deviennent pro-life, vous pouvez faire ça" dit-elle. "Certains des arguments contre le film ne tenaient pas debout, ils m'ont fait réaliser qu'extrême-gauche et extrême-droite ont beaucoup en commun." 

Scandale chez les libéraux 

En plus du camp, le film capture un portrait intimiste d'enfants qui vivent à la maison, où chaque aspect de leur journée est enrobé de croyances évangéliques. Leurs livres d'école à la maison nient le réchauffement climatique et enseignent le créationnisme. Ils écoutent de la musique chrétienne et les radios libres de la droite américaine, ils regardent des films chrétiens et prêtent allégeance à un drapeau chrétien. Les activités comprennent le prosélytisme auprès d'inconnus au bowling et protester contre l'avortement devant la Cour Suprême. 

Les libéraux ont été choqués par une scène avec le pasteur Ted Haggard (à la tête de l'Association Nationale des Evangélistes, et conseiller informel du Président d'alors George W. Bush), dans laquelle il dépeint l'homosexualité comme un péché, puis fait une blague sur l'infidélité et menace la caméra. Miraculeusement, Jesus Camp est sorti au moment exact où l'on révéla que Haggard avait une relation depuis trois ans avec un homme se prostituant et auprès duquel il avait également acheté de la méthamphétamine. 

Les humoristes polémistes des talks-shows tels que Jon Stewart et Bill Maher se sont beaucoup amusés avec cet extrait, nourrissant la colère et la popularité autour de Jesus Camp parmi les athéistes. La directrice du camp Kids On Fire et principale personnage du film, Becky Fischer, a décliné notre invitation à partager son histoire. A travers ses mémoires "Jesus Camp My Story", elle a déclaré que pendant que le film cherchait le sensationnalisme en politisant son camp à outrance, elle a fini par s'en arranger.

Après la sortie du documentaire, Fischer a aidé à promouvoir Jesus Camp avec la participation d'une entreprise évangéliste spécialisée dans les relations publiques, mais très vite elle fut la cible d'une opposition radicale à son ministère. 

"Ma boîte mail débordait d'insultes : "maltraitance", "lavage de cerveaux", "enfants endoctrinés", "vous devriez avoir honte". 

Fischer dit qu'elle a parfois craint pour sa propre sécurité lorsque des gens la reconnaissaient en public. En conséquence de la popularité explosive du film et de sa nomination à l'Academy Award, le camp fut vandalisé et Fischer ne fut plus autorisée à le louer de nouveau pour y tenir son ministère.

"Pour la première fois dans ma vie j'ai pu me sentir proche du peuple Juif en découvrant à quoi ressemblait l'Holocauste au stade embryonnaire" écrit-elle. Alors qu'elle ne peut plus opérer dans un camp, Fischer continue à dispenser l'éducation religieuse aux enfants par le biais de son entreprise, Kids Ministry International.

A la fin de notre conversation, Sommerkamp a dit qu'il ne pensait pas avoir été maltraité. Il était extrêmement critique à l'encontre des évangélistes, au point de décrire Becky Fischer comme "une putain de mauvaise personne qui se nourrit de la souffrance des autres". Mais, dit-il, il a choisi d'éprouver de l'amour pour elle, et il était même reconnaissant de cette expérience du Jesus Camp. 

"Ils nous ont montré ce que cela signifiait de ressentir de profondes émotions pour la vie, pour Dieu" dit-il. "Certains diraient que tout ceci était faux, mais quand je revois ces choses, notre foi a tout rendu réel. C'est ce qui m'a enseigné le pouvoir de la croyance." 



Le film entier, en appuyant sur Play ;)

[Maj : le lien youtube ne fonctionne plus, voici une alternative :
https://ok.ru/video/42950789695] 




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