Mais cela ne concerne jamais que des « oeuvres »
admises pour des diffusions tous publics et bâties suivant des codes
esthétiques, des méthodes de production généralement
pré-déterminées. Je regrette personnellement la grande époque de
Megaupload, qui permettait de rechercher les sous-titrages français
d'habitude introuvables, réalisés bénévolement par des membres de
cette communauté de « criminels ». En bas de l'échelle,
les groupes de musique ne parviennent pas à vendre au delà de la
sortie de leur ville, et s'ils se faisaient télécharger
illégalement par un habitant de Bamako ou de Tulsa, ils n'auraient
que mieux fait voyager leur musique. Interdire les moyens de diffuser
gratuitement est donc très étrange.
Sur le Youtube tant controversé depuis début 2014, des perles
hibernent et n'attendent que d'être trouvées. Et si elles sortent
des codes de diffusion et de production, je pense qu'elles permettent
d'envisager plus facilement d'autres esthétiques, d'autres formes
d'art. Visite officielle avec parade du Président Grolandais
Salengro à Toulouse est un film
disponible sur Youtube et qui permet une approche nouvelle du cinéma
documentaire. Défini comme un carnet filmé par son réalisateur
Gérard Coutant, il propose de suivre la parade du Président du
Groland à travers un plan séquence d'une heure et quart sans aucune
interruption. La prise de vue depuis le milieu de ce cortège est
totalement immersive. Plus les minutes passent plus la foule grandit,
plus elle s'anime, devient bruyante. Un groupe de dix-huit
percussionnistes précède le char du souverain et martèle ses
tambours, pour faire danser quelques comédiens en costumes
satiriques. Une religieuse aux allures de démon, un grand baraqué
façon cuir-moustache avec des ailes d'anges dans le dos, une
danseuse de cabaret qui réveille les appétits des messieurs du
public...
Le cortège est à l'image du
Groland tout entier : anarchique. Le film de Gérard Coutant
témoigne de cette anarchie et contourne lui aussi des codes de
production afin de se montrer décalé. Entre ses deux génériques,
il donne à voir à travers les yeux d'une seule personne
l'intégralité d'un événement vécu de l'intérieur, aux côtés
des comédiens. Il immortalise l'animation d'une foule en créant des
personnages involontaires et récurrents : l'homme qui
photographie à l'Iphone du début à la fin, le passant ivre qui se
rapproche un peu trop des comédiennes affriolantes et qu'on évacue
plusieurs fois... Diffusé gratuitement sur internet, il procure un
sentiment étrange de renouveau artistique à l'époque des
programmes courts et hyper cut. Encore une fois, ce qui colle bien à
l'esprit de Jules-Edouard Moustic et sa bande, qui se font mécènes
audacieux de films, expositions, ateliers...
Faudrait-il faire payer l'accès
à cet objet filmique sous prétexte que des génériques l'ouvrent
et le ferment ? Pourrait-on diffuser ce documentaire si
particulier dans de nombreuses salles de cinéma ? Tous les
publics peuvent-ils comprendre cet effort ? Et enfin, le bridage
d'internet se fera-t-il avec une réelle place pour la diffusion
d'objets culturels qui n'ont pas vocation à être exploités selon
le schéma traditionnel ?
Pour faire plus simple, disons
que je n'aurais pas pu découvrir ce film sans internet. Et que je
n'aurais jamais écrit dessus non plus, ne poussant personne à le
voir. Et je n'ai pas envie de pousser les gens à voir les films qui
sortent actuellement, les grands portails culturels de la presse
numérique le font très bien. J'espère simplement que le
journalisme culturel et les arts bénéficieront toujours d'espaces
accessibles de diffusion alternative. Puisque toutes les œuvres
peuvent être complexes, servons-nous de ces supports pour la
promotion de la diversité de création plutôt que pour
l'établissement restrictif de frontières morales ou économiques.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire